BASTIAN (Novel) - Chapitre 10
— Je dois dire, vous êtes plutôt astucieuse. Utiliser vos attrayants atouts pour charmer les autres. La comtesse de Trier grimaça en s’adressant à Odette sur un ton moqueur.
Odette resta immobile, son visage aussi impassible qu’une statue, le satin bleu de sa robe et l’éclat glacé de ses bijoux en diamant se détachant vivement sur le marbre pâle de son visage. Son apparence presque cadavérique donnait l’impression qu’elle appartenait plus à un enterrement qu’à un mariage, mais sa grâce et son allure indiquaient clairement qu’elle n’était pas une simple villageoise ayant volé des vêtements et des bijoux pour se rendre au bal.
La comtesse de Trier se tenait fièrement, scrutant la grande salle du banquet, et murmura un rappel sévère à Odette.
— Souvenez-vous, l’avenir de la famille Dyssen repose sur le succès de cette tâche.
Les souvenirs des jours où elle avait utilisé des méthodes peu conventionnelles pour intégrer Odette dans la famille envahirent l’esprit de la comtesse en contemplant la Salle de Marbre. Elle reconnaissait que l’obstination et la fierté d’Odette provenaient du sang impérial qui coulait dans ses veines.
— Veuillez tenir votre promesse. Odette dit, s’arrêtant un instant pour se tourner vers la comtesse de Trier. Elle était audacieuse, pas arrogante, ses yeux étant l’image même de la sincérité et du désespoir.
La petite pension autrefois promise à Odette semblait désormais dérisoire, mais la comtesse de Trier ne montra aucun signe de tristesse. Odette lui annonça qu’elle ne verrait plus Bastian Klauswitz, l’homme n’ayant aucune intention d’accepter la proposition de mariage et son désir restant inchangé.
Ce n’était pas qu’elle ne pouvait pas comprendre ses émotions.
Être humiliée et emmenée dans un environnement étranger du jour au lendemain n’était pas simple. Il était probable qu’il ait peu de chances de succès s’il ne parvenait pas à captiver le cœur des gens en exhibant toutes les facettes qu’il avait portées. L’empereur, cependant, préférait ainsi.
Odette devrait jouer le rôle de l’épouse de Bastian Klauswitz devant tout le monde, même si elle était exploitée puis abandonnée.
La comtesse de Trier approuva joyeusement.
— Très bien. Nous ferons cela.
En regardant la comtesse de Trier, le cœur d’Odette était rempli d’un mélange d’émotions. L’idée de l’empereur, impitoyable et non détestable, était quelque chose qu’elle n’avait jamais envisagé auparavant. Mais les paroles de la comtesse lui apportaient une lueur d’espoir. Peut-être, juste peut-être, que cette proposition de mariage pourrait mener à quelque chose de mieux. Elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine gratitude envers la comtesse pour ses mots de réconfort et de consolation.
Odette s’assit devant la comtesse de Trier, les yeux fermement rivés sur l’horizon. Elle était consciente que sa pension ne serait pas perdue même si ce mariage échouait. C’était vraiment tout ce qu’elle désirait. Elle déclara d’une voix ferme qu’elle remplirait ses obligations si la comtesse pouvait convaincre l’empereur de lui donner une réponse ferme.
La comtesse écouta attentivement, sa voix portant une touche de compréhension.
— Bien que l’empereur soit un homme sévère, il n’est pas sans miséricorde. Il ne vous traitera pas comme une étrangère si cette proposition de mariage peut assurer la sécurité et le bonheur de la princesse Isabelle. Ils pourraient même être assez généreux pour augmenter votre pension, bien que gagner au jackpot soit improbable. Et qui sait, si la chance vous sourit, vous pourriez en obtenir encore plus.
La voix de la comtesse s’adoucit en parlant; le spectacle de la fille d’une princesse abandonnée vendue pour une misère lui brisait le cœur. Bien qu’elle utilise l’autorité de la pension comme une arme, elle n’éprouvait aucune satisfaction à voir Odette souffrir.
Odette dut afficher un visage courageux et accomplir ce devoir qui lui avait été confié, même si c’était pour une petite chance d’une vie meilleure. Et ainsi, elle prit une profonde inspiration et hocha la tête.
— Merci, Comtesse. Elle savait qu’elle devait être forte et espérer pour son avenir, et pour l’avenir des Dyssen.
Odette exprima sa gratitude dans une courte note avant de se tourner à nouveau vers cet environnement étrange devant elle.
De belles fresques et des lustres en cristal ornaient le plafond, et le vaste jardin était visible par les fenêtres grandes ouvertes. Tout était exactement comme sa mère le lui avait dit. C’était comme un conte de fées se matérialisant dans la réalité.
Odette se remémora l’histoire de sa mère, qui semblait étrangement joyeuse en lui parlant du Palais Impérial, mais avait fini par fondre en larmes. Cela lui laissait une étrange impression.
Alors que le jardin s’embrasait de fleurs vibrantes, Odette ne pouvait imaginer la douleur et les sacrifices qui attendaient sa mère lors de la nuit du bal. L’amour d’Hélène était tragique, alimenté par des sentiments non partagés et un désir de compréhension. Bien qu’elle idolâtrât sa mère, Odette peinait à saisir les choix de sa mère et la trahison de sa famille et de son pays qu’ils impliquaient. Mais face aux conséquences des actions de sa mère, Odette savait que l’amour véritable venait toujours avec un prix lourd.
Sa mère avait toujours été une rêveuse, poursuivant des illusions d’amour et un passé qui ne pourrait jamais être retrouvé. Telle une taverne dans le désert, elle était envoûtée par des mirages et vivait une vie marquée par une soif insatiable. Mais Odette connaissait la valeur de la vie, et elle savait l’importance de l’argent comme fondement de celle-ci. Elle n’était pas prête à sacrifier son honneur et son respect de soi pour la richesse, mais elle savait aussi que l’honneur et le respect de soi ne pouvaient primer sur la survie. Ainsi, avec le cœur lourd, Odette ferma les yeux sur les souvenirs sans signification et les rouvrit, sa détermination entièrement ancrée.
Une pension était en jeu dans ce mariage, et Odette avait désespérément besoin des fonds. C’était donc sur le chemin qu’elle avait choisi à contrecœur qu’elle se lança, croisant le regard de l’homme alors qu’elle passait sous les armoiries impériales qui ornaient la salle. C’était une décision prise par nécessité, mais Odette conservait sa dignité et son honneur en avançant.
La mélodie de la nuit de printemps coulait telle une symphonie apaisante, illuminant l’obscurité avec un festin de lumières. Le doux parfum des fleurs de printemps était porté par la brise qui murmurait à travers le jardin, créant une ambiance envoûtante. C’était un bal du soir, tout comme les histoires que sa mère lui racontait, mais Odette savait que ce n’était qu’un mirage d’une nuit, et elle ne croyait pas aux illusions.
Bastian traversa la grande salle et s’arrêta à une petite distance. Son attitude envers la chaperonne d’Odette était d’une politesse irréprochable. Odette attendit avec élégance le prochain geste. Comme prévu, la comtesse Trier la confia à Bastian, qui s’approcha d’elle sans hésiter et lui tendit la main.
— Allons-y, Lady Odette, dit-il d’une voix autoritaire et confiante, surmontant le tumulte autour d’eux. Odette, levant légèrement les yeux baissés, lui tendit la main en signe de permission.
Au moment où Bastian prit sa main, la porte du grand hall de banquet s’ouvrit largement, révélant le siège de l’empereur.
.·:·.✧.·:·.
— Calmez-vous.
Valérie poussa un long soupir, sa voix un doux murmure. Isabelle, son verre tenu avec déception, leva lentement la tête pour croiser le regard de sa sœur.
— Je n’ai pas besoin de vos conseils, répondit Isabelle, la voix teintée de frustration.
— Je comprends, mais combien de temps allez-vous ternir l’honneur de la famille impériale pour un homme qui ne s’intéresse pas à vous ? demanda Valérie, la voix pleine de préoccupation.
— Et qui êtes-vous pour me donner ce genre de leçon ? Vous, qui couriez après le duc Herhardt il n’y a pas si longtemps, répliqua Isabelle.
— Il est Herhardt, le plus grand aristocrate de l’empire. Vous ne pouvez pas le comparer au petit-fils d’un misérable antiquaire, dit Valérie d’un ton ferme.
— Ne parlez pas de Bastian ainsi ! s’écria Isabelle, sa voix montant en passion. Les invités sur la terrasse, choqués par le tumulte, tournèrent tous leurs regards vers les deux princesses.
— Calmez-vous donc ! dit Valérie d’une voix ferme mais douce.
— Avez-vous déjà oublié la demande de notre mère pour que nous fassions preuve de responsabilité digne de princesses impériales ? Valérie jeta un regard autour d’elle, ses joues brûlantes de honte sous l’attention qu’elles attiraient. Mais Isabelle était uniquement consumée par son amour non partagé, luttant pour maîtriser ses émotions.
— Il y a un merveilleux moment qui se déroule entre eux deux, pendant que ma sœur pleure dans le coin.
Valérie laissa échapper un autre soupir, sa voix remplie de dédain, tandis qu’elle pointait fièrement par la fenêtre de la terrasse.
Le visage d’Isabelle se tordit de douleur alors qu’elle suivait le regard de sa sœur. Le capitaine Klauswitz et la fille du duc Dyssen, leurs silhouettes grandes et frappantes se détachant dans la foule alors qu’ils riaient et conversaient intimement. Il était difficile de nier qu’ils formaient un couple parfait, du moins en apparence.
— Bastian suit simplement les ordres de l’empereur, murmura Isabelle, essayant de nier la réalité que ses yeux étaient en train de percevoir, alors qu’elle vidait son verre.
Mais à mesure qu’elle regardait, l’impensable se produisit. La fille du duc Dyssen lui murmura quelque chose, et Bastian inclina la tête, baissant son regard, leurs yeux et sourires remplis d’une chaleur qui évoquait quelque chose de plus profond, comme un poème d’amour.
— Le fait reste le même, peu importe vos croyances. Valérie taquina cruellement Isabelle.
— Le capitaine Klauswitz est tombé amoureux de Lady Dyssen. Évidemment, aucun homme décent ne refuserait une femme aussi belle.
— Vous ne savez rien. Bastian n’est pas naïf, répliqua Isabelle, les yeux s’ouvrant avec détermination alors qu’elle secouait fermement la tête.
Six ans s’étaient écoulés. Elle s’était concentrée exclusivement sur Bastian depuis le jour où elle avait vécu le coup de foudre. Comment aurait-elle pu ne pas être consciente de l’homme qu’elle avait aimé avec dévotion pendant toutes ces années ? Ce n’était jamais qu’une illusion égoïste.
Isabelle était consciente, malgré tout ce qu’elle entendait sur l’opinion des gens. Combien Bastian Klauswitz était loyal et digne.
Alors qu’Isabelle était assise seule sur la terrasse, le poids de son amour non réciproqué pesait lourdement sur son cœur, la douleur se faisant ressentir profondément. Le bruit du vin remplissant son verre était la seule chose qui brisait le silence de la nuit printanière morose.
Elle ne pouvait s’empêcher de se demander, à quel point cet amour était-il profond et triste, qu’elle ne pouvait plus cacher ? Comment l’homme qu’elle aimait avait-il pu choisir de sacrifier sa dévotion à l’empire pour une femme de condition inférieure ? C’était injuste, mais cet homme d’une fidélité insensée semblait avoir accepté cela.
Peut-être, dans son esprit, utilisait-il cette femme comme un bouclier pour protéger l’honneur de la princesse. Les rumeurs qui circulaient dans le monde social étaient suffisantes pour couvrir le nom d’Isabelle et attirer l’attention du public. Elle pleura, sachant que les personnages principaux de cette saison sociale étaient déjà occupés par un héros de basse lignée et la fille d’une princesse abandonnée.
Mais que signifiait la gloire que l’on paye de son sacrifice ?
Les joues écarlates d’Isabelle étaient mouillées, les larmes continuant de couler et de dévaler un torrent de tristesse. À travers la fenêtre ouverte, une charmante musique de valse se fit entendre. Bastian, tenant la main de la belle femme, faisait partie des invités qui se dirigeaient vers le centre de la salle à manger, en couple.
Isabelle versa un autre verre de vin, son cœur brisé d’une tristesse profonde et amère. Ses larmes coulaient comme un ruisseau, floutant sa vision et trempant ses mains, mais elle n’avait plus l’énergie de se soucier de telles futilités.
Pour la première fois, elle comprit les véritables intentions de sa mère en l’autorisant à assister au bal. Elle avait dû espérer qu’Isabelle serait blessée de la manière la plus douloureuse possible, pour qu’elle abandonne enfin son amour.
Isabelle leva le regard, ses yeux noyés de larmes, et regarda sa cousine, qui avait pris le parti de Bastian, l’homme qui aurait dû être à elle. La femme, dite marionnette de la famille impériale pour l’argent, était détestablement calme et assurée, et pour le plus grand malheur d’Isabelle, elle était aussi la plus belle.
Alors que la valse de la nuit printanière commençait, Isabelle ressentit un sentiment de honte qui l’envahit, la tristesse se transformant en un sanglot désespéré, la nuit ne lui apportant que douleur impitoyable.