BASTIAN (Novel) - Chapitre 12
— Peut-être ai-je vécu un peu trop longtemps.
Alors que la comtesse de Trier observait le chaos qui se déroulait devant elle, elle sentit un sentiment de désespoir l’envahir. La vue de la princesse Isabelle s’en prenant à Bastian Klauswitz de manière aussi folle était véritablement horrifiante. C’était comme si elle était témoin d’une scène tout droit sortie d’un cauchemar. Malgré ses efforts, la comtesse eut du mal à garder les yeux ouverts, les événements devant elle semblant trop difficiles à supporter.
Avec un regard froid et dédaigneux, le petit-fils du marchand d’antiquités, Bastian, observait la princesse impériale Isabelle. Son manque de respect envers la famille royale était palpable, alors qu’il osait dévoiler ses véritables sentiments envers la princesse sans se soucier de la bienséance.
La comtesse de Trier, regardant la scène avec de plus en plus de préoccupations, ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine inquiétude, redoutant que Bastian n’agisse de manière irréversible contre la princesse. Mais, alors qu’elle observait, Bastian poussa un profond soupir et repoussa fermement la princesse, refusant de lui accorder plus de clémence.
— Isabelle ! La princesse éclata en sanglots en entendant la voix du prince héritier, elle savait qu’elle était une nouvelle fois rejetée par Bastian Klauswitz.
Le prince apparut et prit la main d’Isabelle, l’entraînant loin de la scène chaotique tandis que Bastian arrangeait ses vêtements en désordre, ses gestes paraissant dédaigneux et indifférents. Le cœur d’Isabelle se chargea de tristesse et de désespoir.
— D’une certaine manière, la princesse Hélène est bien meilleure. Du moins, elle ne se serait pas embarrassée de la sorte. Murmura un membre plus âgé de la famille impériale d’un ton contemplatif, sa voix basse et chuchotée.
Lorsque le banquet toucha à sa fin, au milieu d’une tempête de mots acerbes, le duc de Dyssen fut reconnu comme un noble de distinction. Pourtant, beaucoup restaient à se demander comment la belle princesse Isabelle avait pu se laisser si facilement envoûter par un homme de statut inférieur, tel que Bastian. Cependant, le respecté capitaine Klauswitz, avec sa grande richesse et ses compétences, était considéré comme un bien meilleur parti. Malgré la fin de la fête, les invités restaient, refusant de quitter la discussion enflammée.
Alors que la princesse s’éloignait, le capitaine Klauswitz et l’élégante dame Odette restaient en arrière. L’attention de la comtesse de Trier se fixa sur le petit-fils du marchand d’antiquités, qui conversait avec le prince héritier revenant, jetant un coup d’œil vers Odette, qui restait résolue à sa position initiale. Le tissu déchiré de la robe de l’enfant et ses cheveux épars racontaient une histoire triste, gravée sur leur visage. Odette se tourna au moment où le cœur de la comtesse de Trier devint infiniment lourd. En même temps, Bastian fit de même après avoir terminé sa conversation avec le prince héritier.
Leurs regards se croisèrent à nouveau, dans la lumière tranquille et éclatante du palais impérial.
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Ses cheveux noirs flottaient comme des vagues d’océan cette nuit-là. Bastian réalisa enfin ce qui se passait devant lui. Il prit une profonde inspiration.
Odette ôta son attache de cheveux. Elle glissa ses longs doigts fins à travers ses cheveux en désordre, retirant une à une les épingles. À première vue, les mouvements lents et fluides de la femme ressemblaient à une danse romantique.
Bastian plissa les yeux en observant la scène étrange. Odette se tourna alors vers lui, ses cheveux soigneusement disposés tombant sur une épaule. La robe ruinée de la princesse et les traces de ses ongles sur sa peau étaient à peine dissimulées. De nombreux regards étaient toujours fixés sur elle, mais elle semblait avoir oublié tout cela. Non, elle avait la curieuse impression que rien n’était survenu depuis le début.
Avec sa robe restaurée dans sa gloire d’antan, Odette s’approcha de Bastian d’un pas assuré et royal. Le son de ses pas résonnait et se répercutait à travers les grandes salles comme celui d’une reine fière. Le regard de Bastian était rempli à la fois d’intérêt et de doute alors qu’il la regardait s’approcher.
De près, le visage d’Odette était aussi pâle que de la porcelaine, et il semblait qu’elle pourrait s’évanouir à tout moment. Cependant, sa posture droite rappelait à Bastian leur première rencontre.
Cette femme, qui avait été vendue par son père pour payer ses dettes de jeu, avait toujours gardé la tête haute, même sous le toit du palais impérial. Maintenant, elle se tenait devant lui, son esprit intact, et une fiabilité indéniable.
Odette scruta son environnement, le visage dénué d’expression. La grande salle de marbre, le jardin serein de la nuit, et le magnifique Bastian. Elle baissa la tête avec révérence, réalisant qu’elle avait réussi à garder son calme malgré la honte et l’humiliation qu’elle avait endurées. Bastian comprit instantanément ce que ce geste signifiait.
Odette demanda que la valse inachevée soit terminée. Une demande polie ou un ordre hautain ? Dans les deux cas, cela semblait absurde.
Bastian esquissa un sourire, légèrement abattu.
La grande salle du banquet brillait de l’éclat du sang bleu alors que la princesse de l’Empereur était expulsée, ses actions ayant terni l’honneur de la famille impériale. L’élite de la société était réunie, leur intérêt piqué par le scandale d’adultère et de meurtre de sa belle-mère, l’épouse aristocratique de son père. Il comprit enfin le véritable poids de l’expression Sang bleu et se demanda ce qui avait bien pu la pousser à une telle folie.
Bastian jeta un regard attentif autour de lui et retourna son regard vers Odette. Il inclina la tête devant la femme qui était insignifiante plus que toute autre personne ici, portant dans ses veines le sang le plus épais et le plus bleu, obstinément.
La foule, suspendue dans un état de choc, commença à s’agiter à mesure que le spectacle devant eux se déroulait. Un comportement si effronté et indigne, qu’il semblait presque que la fête battait encore son plein, malgré la honte qui pesait dans l’air.
La comtesse de Trier, dont la réticence initiale à faire briller Odette apparaissait maintenant comme un souvenir lointain, observait avec un sourire cryptique sur les lèvres, murmurant pour elle-même : Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
Alors que les dernières notes de la valse se jouaient, le couple glissait gracieusement sur le sol, leurs mains entrelacées guidant la voie. La foule s’écarta comme la mer Rouge, comme par magie, permettant au duo de faire leur grande sortie.
— Dites-moi, mon cher Bastian, avez-vous pris plaisir en compagnie de la belle Odette ? Les paroles de la comtesse de Trier étaient comme du miel sur la langue, mais avec un éclat malicieux dans ses yeux.
Bastian sourit et répondit,
— Ce fut un privilège de passer cette occasion mémorable avec une dame aussi radieuse.
Pour la première fois de sa vie, il mettait les pieds dans les grandes salles du palais impérial, et l’expérience était à couper le souffle.
La comtesse l’observa attentivement, scrutant le jeune officier devant elle.
Les rumeurs sur sa soumission, sur le sacrifice de son orgueil pour le bien de ses ambitions et de sa richesse, le précédaient. Mais en le regardant, elle vit autre chose — un homme armé de confiance, l’air de quelqu’un qui n’a jamais connu la servitude. Elle pouvait comprendre comment certains pouvaient être séduits par sa lumière féroce, mais cela ne changeait pas le fait que la princesse était malade.
— Je vous verrai plus tard, Capitaine. La comtesse Trier accepta la main d’Odette avec un salut dubitatif. Odette trembla. Son petit souffle expiré semblait erratique.
Bastian, rendant hommage à la chaperonne, se tourna tandis que la comtesse de Trier restait figée. Le petit-fils du marchand d’antiquités, conscient de l’état d’Odette, ne leva même pas un sourcil, laissant la scène sidérée.
Lequel des deux ? Odette, qui restait ferme et refusait de céder à la situation, ou Bastian, qui semblait disposé à compatir avec elle ? Lequel des deux était le plus terrifiant ?
Ils étaient manifestement des rivaux trop similaires.
— Hélène a bien élevé sa fille. Malgré un mauvais jugement pour les hommes, elle semble avoir été une mère formidable. La comtesse Trier offrit des mots d’encouragement, accompagnés d’un sourire doux. Elle se retira même la main lorsqu’elle s’apprêta à appeler quelqu’un. — Bravo, ma chère. Vous avez été irréprochable.
Les yeux d’Odette brillèrent d’un mélange de soulagement, de joie et d’une touche de tristesse en entendant les mots de la comtesse.
— Merci, Comtesse. Les émotions riches qui brillaient dans ses yeux, pleins de larmes non versées, se dissipèrent bientôt lorsqu’elle répondit avec calme et un sourire tremblant.
Sans un mot, la comtesse Trier guida Odette loin, sachant que ce dont la jeune femme avait besoin maintenant était un repos bien mérité.
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— Oui. Je vais faire confiance à votre parole à ce sujet. L’amiral Demel laissa échapper un profond soupir et parla d’une voix basse, une décision prise après mûre réflexion sur l’association de Bastian avec la princesse.
— Restez discret pour l’instant. Cela ne ferait pas de mal de se rapprocher de Lady Odette.
L’amiral Demel quitta la salle de banquet avec une demande qui ressemblait presque à une menace, suggérant de profiter de la femme. Ses véritables intentions étaient claires.
À partir de ce moment-là, plusieurs pensées persistantes se faufilaient dans l’esprit de Bastian. Finalement, lorsqu’il quitta la salle de banquet, la nuit tomba. Si c’était comme l’année dernière, le bal battait son plein, mais ce soir-là, le palais impérial était lourd d’un sentiment de vide.
Alors que Bastian s’installait dans la voiture et fermait les yeux, s’enfonçant dans son siège, il laissa échapper un soupir fatigué et défit son nœud papillon, le nœud se dénouant facilement. Il réfléchit aux événements de la journée, et il se rendit compte qu’il faudrait peut-être prolonger la représentation du théâtre pour l’empereur. Il semblait que l’impact de l’incident d’aujourd’hui mettrait longtemps à se dissiper.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, affirmant sa détermination, la voiture passait dans les rues animées de Lutz, la vue nocturne de l’hôtel Reinfeld apparaissant à travers la fenêtre de la voiture. Et avec cela, le souvenir d’Odette lui revint en mémoire.
Elle s’était tenue droite et résolue, refusant de céder, sa grâce et sa prestance dissimulant probablement l’agitation intérieure qui bouillonnait sûrement sous la surface.
Tout comme cette nuit-là, lorsqu’elle avait remis son voile, redressé sa posture et quitté le sordide casino avec une grande prestance.
Bastian ferma les yeux un moment, laissant échapper le souvenir de ses cheveux tombant en cascade sur son cou, la nuque douce et blanche exposée.
Le vent soufflait à travers la fenêtre de la voiture légèrement ouverte, faisant frémir les feuilles des arbres. Et avec cela, les pétales de fleurs qui étaient restés accrochés au col de Bastian un moment disparurent silencieusement dans la nuit grise.