BASTIAN (Novel) - Chapitre 16
Odette von Dyssen honora le rassemblement en arrivant à une heure qui convenait aux invités les plus modestes, se fondant sans effort dans la foule. Pourtant, sa renommée entravait cette discrétion, attirant l’attention de toutes parts.
Impatiente de son arrivée, Ella von Klein se précipita vers elle et l’accueillit avec enthousiasme :
— Bonjour, vous souvenez-vous de moi ? Nous nous sommes rencontrées au bal l’autre soir.
Odette lui offrit un sourire chaleureux.
— Ah oui. Vous êtes la fille du comte Klein et la fiancée de Monsieur Franz Klauswitz, me trompé-je ?
— Exactement ! Je suis impressionnée que vous vous souveniez de moi si clairement malgré votre emploi du temps chargé. Merci d’être aussi aimable, s’exclama Ella en entraînant Odette vers son groupe.
Heureusement, Ella réussit à capter plus facilement l’attention aujourd’hui, l’agaçante vieille dame n’étant pas présente.
Comme le murmuraient les rumeurs, Odette von Dyssen était unique et singulière.
Se tenant à l’écart, elle semblait refléter les circonstances l’ayant menée au bord du précipice, mais sans jamais arborer la moindre arrogance. Son allure était douce et accueillante, souvent attentive aux autres, mais participant aux conversations avec une grâce et un charme indéniable lorsque la situation l’exigeait. Une véritable incarnation de l’élégance et de la retenue.
— J’ai cru un instant que l’hiver était revenu. Je suis ravie de voir que le temps s’adoucit de nouveau, observa Ella.
À la fin de la discussion, la jeune fille du comte Brandt prit la parole pour la première fois, ses yeux brillant d’admiration.
— Votre robe est magnifique, elle met en valeur votre beauté.
Claudine von Brandt, se levant gracieusement de son siège, s’approcha d’Odette d’un pas mesuré. Ella, curieuse, observa l’échange avec attention.
Claudine détailla la tenue d’Odette, un sourire délicat se dessinant sur ses lèvres.
— Elle me rappelle les créations de Reine : si élégantes et raffinées. Cette boutique sait manier avec talent les tissus délicats comme la mousseline et la soie.
Les dames présentes échangèrent des regards surpris. Aucune d’elles ne semblait reconnaître le nom de cette boutique. Une lueur de curiosité, voire de suspicion, s’alluma dans leurs regards alors qu’elles scrutaient Claudine.
Était-ce une mise à l’épreuve ?
Ella retint son souffle, tentant de deviner les intentions de Claudine.
Il semblait improbable qu’une femme comme Odette, d’origine modeste, puisse porter une robe confectionnée sur mesure par une maison de couture aussi prestigieuse.
À première vue, la tenue qu’Odette portait paraissait être l’œuvre d’une couturière talentueuse, mais en y regardant de plus près, on pouvait distinguer des ajustements. Il était évident que cette robe n’avait pas été faite spécialement pour elle.
— Cela n’a rien d’étonnant, murmura une jeune femme à l’oreille d’Ella. On me néglige souvent lorsque je visite cette boutique.
— Sa Majesté n’est guère généreuse, poursuivit une autre. Se servir d’Odette comme d’un simple pion pour protéger la Princesse… Il aurait au moins pu lui offrir une garde-robe décente.
— L’organisation de cette réception a été si soudaine qu’il était impossible de perdre du temps, intervint Ella en prenant la défense d’Odette, consciente du prestige de la famille Klauswitz. Les boutiques les plus en vue demandent des réservations au moins deux saisons à l’avance.
Toutefois, même les maisons les plus sélectes n’auraient osé défier un ordre royal. Pourtant, la famille royale elle-même avait choisi de ne pas intervenir. Aux yeux de la couronne, le cas d’Odette ne méritait pas qu’on s’y attarde.
C’est alors qu’Odette prit enfin la parole, attirant sur elle tous les regards.
— Je vous remercie pour vos aimables paroles, Lady Brandt.
Les jeunes femmes qui chuchotaient se turent immédiatement. La pauvre Odette était encore une fois en position délicate, exposée à leur jugement.
Une réaction précipitée la couvrirait de honte. Pourtant, reconnaître son ignorance et son manque de moyens serait tout aussi humiliant. Quoi qu’elle dise, elle ne pouvait échapper aux railleries.
Avec une grâce naturelle, elle opta pour une approche habile.
— Voyez-vous, je manque encore d’expérience en matière de mode, déclara-t-elle avec un sourire tranquille. J’ai la chance d’être guidée par ma chaperonne. La nièce de la comtesse et moi avons une silhouette similaire, et j’ai donc l’opportunité d’essayer plusieurs tenues issues de diverses maisons. Je retiendrai avec intérêt la recommandation de Lady Brandt.
Les dames échangèrent des regards incertains. Elles semblaient hésiter sur la façon d’interpréter sa réponse.
Mais avant qu’elles ne puissent réagir, les officiers de l’armée firent leur entrée dans la salle, annonçant ainsi le début du jeu.
— Ce fut un plaisir de converser avec vous, Lady Brandt, mais je dois à présent me retirer, conclut Odette en saisissant l’occasion d’échapper à cette situation inconfortable.
Claudine, ayant retrouvé son cousin, lui offrit un sourire bienveillant et la salua d’un ton aimable.
— Alors, à très bientôt, Lady Odette.
Comme si la conversation précédente n’avait jamais existé, Claudine von Brandt lui fit ses adieux avec un sourire radieux et un salut courtois.
— Ah, pardonnez-moi, ajouta-t-elle avec une lueur malicieuse dans les yeux. J’ai commis une erreur tout à l’heure. La robe que vous portez provient en réalité de la maison Sabine.
Odette accueillit cette correction avec un sourire poli, feignant la gratitude pour cette nouvelle information.
Claudine se détourna pour rejoindre les officiers de l’armée, son élégante silhouette se mêlant à la foule.
Alors qu’Odette portait son verre de limonade à ses lèvres, une voix joyeuse s’éleva dans l’air.
— Franz, mon amour, vous voilà enfin ! J’étais morte d’inquiétude, s’exclama Ella von Klein, se jetant au bras de son fiancé.
Franz Klauswitz, avec ses boucles brunes et ses yeux gris perçants, salua la compagnie avec un sourire chaleureux. Son allure douce et posée contrastait avec sa réputation d’héritier d’une riche famille d’industriels. Il ressemblait plus à un artiste raffiné qu’à un impitoyable homme d’affaires, fascinant ceux qui l’entouraient.
Toutefois, son expression se rembrunit sensiblement lorsqu’il dut adresser ses salutations à Odette.
— C’est un plaisir de vous revoir, Lady Odette.
Son ton hésitant et son regard fuyant trahissaient une gêne évidente.
— Bonjour, Monsieur Klauswitz. Le plaisir est partagé, répondit-elle avec un sourire impeccable, dissimulant son malaise.
C’est alors que l’entrée triomphante des joueurs de l’Amirauté détourna enfin l’attention d’Odette.
Elle tourna les yeux vers la pelouse ensoleillée, où de jeunes officiers, à la stature élancée et athlétique, contrôlaient leurs chevaux avec une maîtrise fascinante. Aucun ne le faisait avec autant de puissance et de grâce que Bastian.
À grands pas assurés, les cavaliers s’approchèrent de l’aire de réception, inspectant leurs montures avant d’entrer dans l’arène.
Odette prit une profonde inspiration silencieuse, levant le menton et gonflant sa poitrine, mais elle avait encore du mal à respirer à cause de son corset trop serré. Malgré l’inconfort, elle avait endossé ce vêtement mal ajusté, un sacrifice nécessaire au nom de la mode.
Alors que Bastian s’avançait vers elle avec assurance, leurs regards se croisèrent, et il lui offrit un sourire éclatant, aussi brillant que le soleil au zénith.
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« Bastian Klauswitz, tel un dieu de la guerre, captivait tous les regards avec sa beauté saisissante, » pensa Sandrine en le voyant échanger des paroles légères avec sa future fiancée, choisie par l’empereur. Un mélange d’amour et de haine tourbillonnait en elle.
— Il semble qu’ils vont bientôt se marier, intervint une jeune femme au visage innocent, cherchant une réaction de la part de Sandrine. Avec un sourire éclatant, Sandrine hocha la tête en signe d’accord.
— J’espère bien. La vie de Bastian sera bien plus stable avec un partenaire fort à ses côtés lorsqu’il partira en mission, dit-elle, ses mots résonnant d’une sincère inquiétude pour son ami.
— C’est gentil à vous de penser ainsi, Sandrine. Votre cœur généreux transparaît, répondit la jeune femme, un peu déstabilisée par l’audace de Sandrine.
— C’est naturel pour des amis qui partagent un lien profond, répliqua Sandrine avec un sourire chaleureux, ses paroles réussissant à dissimuler la supercherie sous-jacente.
Elle changea rapidement de sujet, peut-être réalisant qu’il était inutile de prolonger cette discussion. C’était le genre de conversation ennuyeuse que les jeunes dames de la société aiment, se vantant de leurs maris et de leurs enfants.
Sandrine s’excusa gracieusement de la conversation et reporta son attention sur le couple joyeux. Malgré son tourment intérieur, son sourire demeurait serein et composé, comme si une brise légère avait emporté tout signe d’animosité. Elle prit une profonde inspiration et se laissa imprégner par la beauté du moment, laissant de côté toute pensée ou sentiment indésirable.
Sandrine regardait le couple et ne pouvait s’empêcher de ressentir la même passion que la princesse pour Bastian. Elle était aussi bien trop consciente de la folie qui accompagnerait son désir d’être avec un homme pareil. Pourtant, elle n’avait pas l’audace de se comporter comme la princesse. Tandis qu’elle était encore célibataire, sa situation se résumait à un fragile équilibre entre chance et destin malheureux.
Elle laissa échapper un lourd soupir alors qu’elle apercevait momentanément le visage de son mari.
Au final, elle avait eu le pire des maris du monde entier—le comte Lenart, un sodomite—mais elle ne pouvait pas le mépriser. Elle avait su tirer parti de ses défauts et forcer un divorce sans conséquence grâce à lui, et cette faiblesse lui avait permis d’obtenir Bastian Klauswitz.
Dans cette optique, Sandrine pourrait lui pardonner sa folie. Ce serait injuste de s’attarder sur son côté mesquin, qui retardait les procédures de divorce au point de vouloir lui couper sa pension alimentaire jusqu’au dernier centime.
Combien de temps s’était-il écoulé depuis qu’elle l’avait regardé avec une telle nostalgie ?
Lorsque Bastian tourna la tête, les sentiments de colère et de frustration de Sandrine furent instantanément remplacés par de l’amour. Malgré sa fierté blessée, elle ne pouvait s’empêcher de tomber à nouveau sous son charme.
Avec un clin d’œil espiègle, Sandrine fit un geste en direction du salon. Il ne faisait aucun doute que Bastian ne saisirait pas la signification de son geste.
— Oh, je crois qu’il est temps pour moi de faire une petite pause, dit-elle, feignant un faux pas et renversant son sherry pour s’excuser. S’éloignant de la réception, elle fit ses adieux aux femmes dont la fausse inquiétude se lisait sur leurs visages. Lorsqu’elle arriva au bout du grand hall, son cœur battait fort, excité et impatient.
Sandrine sentait son cœur s’emballer d’anticipation alors que de forts pas s’approchaient. Elle savait que c’était Bastian, bien que son visage fût obscurci par le contre-jour. Elle prit une profonde inspiration, sa voix aussi douce et légère qu’une brise printanière.
— N’avez-vous rien à me dire ? demanda-t-elle, alors que Bastian tournait enfin le coin.
— J’ai quelque chose à vous demander, répondit Bastian, un sourire en coin sur ses lèvres.
Sandrine se redressa de sa position contre le mur, faisant un pas en avant vers Bastian. L’homme séduisant se tenait devant elle, affichant une confiance nonchalante sur son visage charmant.