BASTIAN (Novel) - Chapitre 2
Le trolley s’arrêta brusquement, ses freins hurlant contre les rails lorsqu’il atteignit les portes du quartier des divertissements. Odette descendit du véhicule, accompagnée par le garde de sécurité au visage sévère, venant du casino. Lorsqu’elle s’éloigna, un groupe de voyageurs fatigués prit sa place, occupant les sièges qu’elle venait de libérer.
— Allez-y, dit le garde d’un ton rauque, brisant le silence.
Odette prit une profonde inspiration, son esprit concentré sur la tâche à accomplir. Alors qu’elle marchait dans la rue éclairée, le voile sombre qui obscurcissait son visage ne gênait guère sa progression. Elle était déjà venue ici de nombreuses fois, toujours dans le but de réparer les erreurs commises par son père. La familiarité des lieux lui donnait un sentiment de détermination, et elle avançait vers sa destination tel un soldat armé.
Lorsqu’Odette s’approcha de l’imposante entrée du casino, un homme robuste se plaça devant elle, lui adressant un signe de tête bourru.
— Vous pouvez y aller, femme.
Odette s’arrêta, ses yeux scrutant son visage à la recherche d’un signe de ce qui allait suivre. L’homme poussa un long soupir, un signe qu’il avait fait cela de nombreuses fois, même durant leur trajet en trolley.
Odette, sa voix à peine un murmure, demanda :
— La somme est-elle importante ?
Le garde répondit sans hésitation, ses mots portant un poids qu’Odette ne parvenait pas à saisir.
La fille du Duc ne fut pas surprise lorsque les officiers de sécurité du casino enfoncèrent la porte en pleine nuit, car elle connaissait bien les techniques d’un mendiant. Elle demanda simplement un moment pour rassembler ses affaires et leur lança un regard résigné avant de soupirer lourdement. Elle savait que cela n’était probablement qu’un autre incident lié aux dettes de jeu de son père, revenant la hanter comme un cauchemar.
— Non, répondit fermement le garde, retrouvant son calme.
Le destin d’Odette n’était pas exceptionnel parmi les femmes vendues aux tables de jeu. Il avait vu de nombreuses épouses et filles de joueurs tomber dans le piège de telles circonstances désastreuses et connaissait bien leur fin inévitable. Si la chance était de leur côté, peut-être pouvaient-elles parvenir à un accord pour rembourser leurs dettes, mais le groupe qui avait gagné Odette semblait ne pas être aussi clément. Leur intention était simple : obtenir la fille d’un duc mendiant, leur trophée noble.
— Montez, dit-il froidement, sans émotion, en désignant l’escalier majestueux menant au deuxième étage.
C’était une scène pitoyable pour une femme dont la vie avait été détruite par l’imprudence de son père, mais Odette ne parvenait pas à se remplir de colère ou de pitié pour elle-même. La tête haute et le dos droit, elle commença à monter les marches couvertes de tapis rouges. L’ourlet de sa robe déchirée, qui ne ressemblait en rien à celle d’une noble, flottait gracieusement à chaque pas, comme si elle marchait sur l’eau vive.
Le garde, ayant pris sa décision, se hâta de suivre Odette. La fille du duc mendiant, inconsciente de la tragédie qui l’attendait, portait sa dignité comme une armure, même si elle s’enfonçait de plus en plus dans la boue.
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Le Duc, le mendiant, choisit une alternative. Il modifia sa posture et commença à les menacer après s’être rendu compte que le fleuve des larmes n’avait servi à rien.
— Me reconnaissez-vous ? Vous recevrez une part considérable si vous me traitez ainsi. La fumée de cigare remplissait la salle de cartes, et la faible confiance que ce genre de personne vit comme une habitude se dissipait dans le chaos.
— Vous ne serez jamais en sécurité si l’empereur apprend que vous avez touché une femme impériale de cette manière ! Le Duc joueur se tourna maintenant vers l’empereur comme une arme, après avoir précédemment aligné une variété de titres nobles et de foyers.
Les officiers qui l’observaient rirent tous hystériquement en même temps, comme s’il était une attraction en exposition. Erich Faber commença finalement à pleurer tout en rigolant, comme s’il avait du mal à respirer.
Erich renifla et essuya ses larmes d’un coup de paume, et il dit
— Hé, Bastian ! J’ai entendu dire que tu avais eu un rendez-vous avec celle qui sera la nièce de Sa Majesté l’Empereur ?
Bastian répondit avec un sourire faux et s’approcha lentement de la fenêtre. Il la laissa entrouverte pour laisser entrer un vent frais. Il observait le spectacle inutile tout en s’appuyant contre le rebord. Le mépris des spectateurs grandissait proportionnellement aux mensonges du Duc mendiant. Il entendit un coup à la porte alors que la situation devenait insupportable.
Bastian se leva et mordilla son cigare éteint. Le Duc mendiant et les spectateurs qui avaient mis fin au tumulte posèrent tous leurs regards vers l’entrée de la salle de poker.
La porte s’ouvrit dans l’obscurité inquiétante.
Tout en observant le début de la nouvelle performance les bras croisés, Bastian posa son briquet. Au-delà de la porte ouverte, une femme en manteau usé, gants et chapeau, avec un voile noir couvrant son visage, se tenait, semblant humble et épuisée. C’était la fille du Duc mendiant, et l’énorme homme qui se tenait derrière elle, probablement son garde, était sans doute venu la chercher.
La femme s’approcha de son père à pas mesurés, ne montrant aucune trace de précipitation, tout en scrutant prudemment son environnement. Dans le silence oppressant de l’endroit, ses pas résonnaient silencieusement.
— Dites-moi combien mon père vous doit, dit-elle, se tenant devant son père qui était en deuil, avec une conviction farouche. Elle n’avait évidemment pas saisi la gravité de la situation.
La pièce éclata en rires moqueurs et en railleries, mais la femme resta implacable et endura cette avalanche d’humiliation avec un air hautain.
Alors que Bastian posait son cigare sur le rebord de la fenêtre, il sourit, ses sourcils bien dessinés se courbant vers le haut. Les vêtements de la femme et ses cheveux plats étaient éclairés par une douce lueur créée par la lumière de la lune filtrant à travers la fenêtre, illuminant le rideau élaboré.
— Vous semblez être dans l’erreur, ma dame, mais vous n’avez pas été appelée ici pour rembourser la dette de votre père, dit Erich doucement en s’approchant de la femme.
— Alors je partirai avec mon père, répondit fermement la femme, sa voix froide et claire, incongru avec le chaos qui les entourait.
— Je crains que cela ne soit pas possible. Même si votre père part, vous devez rester, intervint un noble.
— Que voulez-vous dire ? demanda Odette, confuse.
— Votre père vous a mis en jeu dans un pari et, eh bien, il a gagné, dit l’homme grand près de la fenêtre, en désignant Bastian, qui se tenait près de la fenêtre.
Le souffle d’Odette se bloqua dans sa gorge, alors qu’elle peinait à comprendre la gravité de la situation. Il lui fallut quelques instants avant de tourner son regard interrogateur vers son père.
— Je suis tellement désolé, ma chère. Je ne savais pas que cela tournerait ainsi. J’étais certain de pouvoir gagner gros, dit le duc Dyssen, dont le visage se tordit de douleur tandis qu’il baissait la tête, incapable de regarder sa fille. C’était la lâcheté qu’il montrait souvent lorsqu’il était confronté aux conséquences de ses actes.
Odette jeta un regard furtif au groupe qui l’entourait, les yeux pleins de peur. Tous étaient en uniforme et elle, qui ne connaissait que peu de choses sur les soldats, pouvait deviner qu’ils étaient des officiers de l’amirauté.
La plupart des soldats servant au quartier général de la capitale étaient issus des classes supérieures. Cela signifiait qu’ils avaient le pouvoir de rectifier tout accident survenu dans la maison de jeu d’arrière-cour.
C’était le début de la fin de sa vie telle qu’elle la connaissait. Elle n’était plus la fille du duc, mais un pion dans un jeu de pouvoir et de richesse perdu, où un noble avait mis son père en échec.
Le salon de cartes se remplit bientôt du sifflement moqueur de quelqu’un qui avait commencé à souffler. Puis vinrent des blagues et des rires aux sous-entendus obscènes.
Odette n’entendait plus que les battements irréguliers de son cœur. Il battait à la vitesse de la lumière. Bien que le sang dans tout son corps semblât s’être figé, le souffle qui sortait de ses lèvres tremblantes devenait de plus en plus chaud, comme le soleil brûlant. Lorsqu’il devint difficile de le retenir à cause du vertige, l’homme près de la fenêtre commença à bouger.
Odette tourna la tête pour fixer la porte fermée, sachant qu’il était futile de tenter de formuler un plan en si peu de temps. Des gardes seraient probablement postés de l’autre côté de la porte, même si elle avait la chance d’y arriver.
Pourquoi ne pas simplement sauter par la fenêtre ? pensa-t-elle.
L’ombre d’un homme grand se dessina au-dessus de sa tête, au moment même où elle ressentait un désir irrationnel.
À l’ombre, Odette leva lentement la tête. Avant qu’elle ne s’en rende compte, la personne qui avait gagné le tirage se tenait juste devant elle, à la vue de ses yeux.
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— N’avez-vous pas honte ? La première parole de la femme était audacieuse et choquante.
Bastian baissa les yeux en observant la femme qui était vendue à lui. L’ombre de son visage se dessinait et se reflétait dans son voile noir.
— De penser qu’un officier de l’Empire participerait à un pari aussi bas de gamme. Vous ne savez probablement pas qu’un contrat pour acheter et vendre des gens ne peut même pas être établi dans un premier temps. Sa voix tremblait légèrement, mais la femme persévérait dans ses reproches. Bastian ne put s’empêcher de rire, ressentant une pointe de gêne devant son bluff.
— Chercher la loi et la morale dans un endroit comme celui-ci ne semble pas être une très bonne solution, dit-il.
— Depuis quand l’honneur et la dignité d’un soldat sont-ils obscurcis par le temps et le lieu ?
La femme, à laquelle personne ne s’attendait à ce qu’elle réponde, lança une contre-question provocante. Bien qu’elle ne fût pas sage dans ses manières, on pouvait au moins la féliciter de ne pas pleurer de façon indécente, comme son père.
— Veuillez pardonner les erreurs de mon père. En retour, je réglerai votre dette.
La femme, qui avait déjà ajusté sa posture de façon suffisante, fit une demande audacieuse. Son attitude était en décalage avec sa situation, mais elle se tenait droite et inflexible.
— Quoi ? Non. répondit Bastian humblement tout en se tenant la tête. Ses yeux glacés se faisaient encore plus remarquables sous le sourire figé qu’il arborait.
Elle tremblait de peur. Son corps était rempli de terreur qu’elle ne pouvait plus dissimuler. Bien que Bastian n’appréciât pas cette forme de répression, la vue lui procurait un plaisir sadique.
— Maintenant, je vais vous donner l’ordre, car vous m’appartenez. Déclara Bastian, prêt à mettre fin à cette supercherie.
Il en avait assez de rendre cette femme ridicule. Il avait perdu la volonté de faire preuve de plus de patience.
Cependant, il savait que s’il la laissait partir, de nouveaux problèmes naîtraient. Scrutant les visages impatients de la foule, le regard de Bastian se posa de nouveau sur la fille du duc mendiant. Le voile qui dissimulait son visage commença soudain à l’agacer. Il aurait été plutôt satisfaisant de le déchirer dans un moment d’insulte.
Bien sûr, il n’était pas si curieux de voir l’apparence de la femme. Mais Bastian avait d’autres plans, il allait en faire son jouet et s’assurer qu’elle obéisse à chacun de ses ordres.
Bastian donna un ordre, interrompant le silence.
— Retirez ce voile, vous. Je n’ai aucun intérêt pour votre argent. Et celui qui l’a accepté à votre place n’en avait pas plus envie. Mais puisque subir une défaite unilatérale serait inacceptable pour nous, mettons-y fin simplement en regardant votre visage.
— Allez, faisons ce qu’ils veulent et partons d’ici, dit le duc, qui avait observé la scène, tout en saisissant sa fille. Il ne ressentait aucun remords pour l’humiliation de sa fille, sa seule préoccupation étant de sortir de cette situation.
Avalant la colère venimeuse qui montait à la pointe de sa gorge, Odette leva les yeux remplis de larmes et fit face à l’homme. C’était infiniment humiliant, mais elle ne pouvait pas lutter. Elle savait pertinemment que c’était la meilleure solution. Pour l’instant, cet homme était son seul espoir, car elle n’avait d’autre choix que de se soumettre à chacun de ses ordres.
— Pouvez-vous honorer votre parole ? Odette posa la question en saisissant l’extrémité du voile.
Bien que ses mains tremblent à l’intérieur de ses gants usés, sa voix résonna étonnamment froide. La confiance viendrait plus tard, le respect et la décence suivraient ensuite.
Bien que cela paraisse absurde de découvrir de tels idéaux élevés dans un casino, Bastian hocha la tête agréablement. Il était fatigué après une longue journée de travail et ce spectacle indécent l’agaçait profondément.
— Allez-y, ma chère.
Odette hésita encore avant que le duc n’avance, prêt à la dévoiler personnellement.
Cependant, la femme rejeta fermement son contact et enleva elle-même le voile. Elle exposa son long cou délicat, ses lèvres pincées et son nez bien sculpté. L’excitation des observateurs monta alors que le visage de la femme émergeait progressivement, tel un nouveau croissant de lune sous son voile noir en dentelle.
Bastian observa silencieusement la femme qui soulevait lentement son voile, ses paupières tombantes. L’instant où son expression ennuyée se modifia légèrement, elle révéla son visage. La fille du duc mendiant leva prudemment la tête pendant le bref silence dans la salle de jeu. Elle croisa le regard de Bastian et il le lui rendit avec empressement.
La femme avait des yeux d’une beauté stupéfiante, profonds comme un océan, un parfait mélange de bleu et de vert. Ses grands yeux avaient une lueur étrange et claire, semblable à celle d’un jeune animal effrayé sous attaque.
Bastian soutint le regard de la femme en face de lui tandis que les officiers, qui retenaient leur souffle, commencèrent à bouger. Ses longs cils et les ombres de ses yeux enflammés ressortaient fortement en contraste avec la pâleur de son visage. Son apparence était encore plus exquise, ses cheveux noirs comme la nuit et son teint pâle formaient une poésie rythmée en elle-même.
Le sourire en coin de Bastian se courba, teinté d’une pointe de déjection.
Bien que le duc mendiant fût effectivement un terrible tricheur, il était évident qu’il n’avait pas menti sur les enjeux.
Le duc mendiant disait vrai, elle était effectivement une femme magnifique.