BASTIAN (Novel) - Chapitre 20
Les vastes halls du palais furent secoués par un son qui résonna comme le gémissement d’une créature torturée. Tout le monde, même le palais, fut choqué d’apprendre que la princesse impériale était la source de ce sanglot déchirant.
— Altesse, cessez de pleurer !
Le toucher doux de la nourrice, qui essuyait délicatement les larmes du visage de la princesse, apporta un moment de calme. Mais ce ne fut qu’un répit momentané, car les sanglots recommencèrent bien vite.
Une cousine, venue au palais d’été pour consoler la princesse en deuil, parla du match de polo qui se déroulait dans la capitale, organisé par les officiers. Bien qu’elles aient réalisé rapidement leur erreur et aient changé de sujet, les mots étaient déjà sortis, se répandant comme de l’eau renversée.
— Oh, chère nourrice, je vous en supplie, accordez-moi cette seule demande. Juste cette fois, pourriez-vous fermer les yeux et me permettre d’envoyer cette lettre ? Les yeux d’Isabelle, noyés de larmes, supplièrent, sa voix tremblant de désespoir.
— Altesse, n’oubliez pas l’avertissement de Sa Majesté. Si vous insistez pour accomplir cet acte, je serai dans l’impossibilité de rester à votre service. La nourrice lui rappela doucement, un brin de tristesse dans la voix.
Les yeux d’Isabelle se tournèrent vers la fenêtre, vers l’immensité de la mer, alors que des larmes fraîches coulaient sur ses joues.
— Pourquoi devez-vous être si cruels ? Je désire seulement entendre la réponse de Bastian. Murmura-t-elle, le cœur lourd de désir et de tristesse.
Elle se sentait brisée, éclatée en un million de morceaux, sans espoir de jamais se reconstruire. Car tout ce qu’elle tenait à cœur appartenait désormais uniquement à lui.
Pour Isabelle, ce grand palais, bien que magnifique, n’était qu’une cage, l’enfermant dans ses frontières dorées et restreignant chaque liberté, y compris les mots eux-mêmes qui franchissaient ses murs. Des mesures aussi strictes étaient jugées nécessaires par ses parents à la suite des événements tumultueux du bal.
— Altesse, je crains que la réponse du capitaine Klauswitz n’ait laissé place à aucun doute, dit la nourrice d’une voix douce mais ferme.
— Mais, nourrice, je jure que j’ai vu un éclat de choc dans les yeux de Bastian, pareil au mien, protesta Isabelle, secouant la tête d’incrédulité.
Avec le passage des années, le souvenir de ce jour fatidique devint de plus en plus vivant dans l’esprit d’Isabelle. Elle pouvait encore sentir les yeux de Bastian sur elle, la chaleur de son toucher, et chaque frisson traversant ses doigts comme si cela venait de se produire hier.
Ils devaient trouver un moment de tranquillité pour partager leurs émotions les plus profondes, à l’abri de tous regards indiscrets. Isabelle était convaincue que, dès qu’ils auraient cette chance de parler, tout changerait pour le mieux.
L’attente était trop insupportable pour Isabelle, qui finit par craquer en sanglots et s’effondrer sur son lit. Juste à ce moment-là, un coup retentit dans la pièce, et une servante entra, portant un petit plateau d’argent avec un flacon.
Avec une soumission sereine, Isabelle prit son tonique nocturne comme à son habitude. Pour elle, l’étreinte engourdissante du sommeil était préférable à la douleur persistante du cœur brisé.
Cependant, dans ses rêves, elle était libre de se délecter de la chaleur de l’amour sans entraves.
Alors qu’elle s’endormait, son esprit évoquait des visions du bonheur qui aurait dû lui revenir de droit. Elle se souvenait tendrement du moment où Bastian, lors d’un match de polo triomphal, lui avait demandé le symbole de la victoire. Avec un sourire, elle lui avait remis son ruban, et il avait scellé la victoire par un baiser, déclarant fièrement leur amour au monde et cimentant une promesse d’éternité.
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Le tranchant métallique de la lame déchirant l’air remplissait le silence du terrain d’exercice, alors que la voix du sergent résonnait avec autorité. Bastian, l’œil vif, scrutait la ligne des cadets avant de remettre habilement son sabre dans son fourreau, signalant la fin de l’exercice formel.
À l’ordre du capitaine, les cadets se mirent au garde-à-vous et saluèrent, rendant hommage à la Marine et élevant leur esprit. Bastian, avec un comportement digne de ses fonctions, descendit du podium, sa sortie observée avec une admiration constante de la part des cadets. Dans un instant figé dans le temps, le drapeau flottant était une anomalie gracieuse, un symbole de l’esprit inébranlable de ceux qui servent.
— Le simple fait de devoir endurer cela jusqu’à la fin du festival me fait verser des larmes, marmonna Lucas en s’éloignant du terrain de parade.
Chaque automne, la ville de Lausanne, avec son plus grand port naval du sud, organisait un grand festival en l’honneur de la Journée de la Marine. Cette année, les festivités étaient amplifiées par une procession maritime pour commémorer le triomphe à la bataille de Trosa.
La préparation de cette célébration avait occupé toute l’année, et les cadets non commissionnés n’étaient pas une exception. Bastian et Lucas avaient pour tâche redoutable de perfectionner leurs compétences et de les préparer pour la cérémonie d’ouverture du festival.
Lucas ôta ses gants et se mit à se ventiler après s’être assuré qu’ils étaient les seuls. Lors des entraînements formels chaque mercredi, les instructeurs de la Marine étaient censés être en uniformes cérémoniels impeccables, bien que cela fût inconfortable de rester debout sous le soleil de midi avec une tenue aussi rigide.
Bastian, dont pas un cheveu ne dépassait, retourna au quartier général avec une calme qui reflétait sa tenue posée sur la plateforme. Les grognements de Lucas se calmèrent à peine qu’ils entrèrent dans le grand hall de l’Amirauté.
Avec empressement, Bastian s’occupa des affaires urgentes, compilant le rapport de formation et retournant rapidement à ses fonctions. Il tria une avalanche de papiers avant d’accompagner l’amiral Demel à un entretien privé avec le chef d’état-major du département de la guerre.
Les deux forces opposées, connues pour leur hostilité, étaient enfermées dans une âpre bataille d’esprit sur des trivialités, et le second du général se tenait en première ligne de ce conflit.
L’amiral Demel planifiait généralement ses rencontres avec l’armée le mercredi, car c’était l’occasion idéale de mettre en avant le calme et le professionnalisme d’un officier de l’Amirauté.
— Bien joué. On peut considérer que la journée est terminée, proclama-t-il après une négociation productive, son ton plus magnanime que d’habitude. — Prenez le temps de réfléchir à une autre mission outre-mer, ajouta-t-il.
La fervente demande de Bastian fut une fois de plus rejetée.
— Les séquelles de votre blessure persistent-elles encore ? Et vous avez de nombreuses responsabilités à accomplir ici. Quoi qu’en disent les autres, la figure de proue de cette célébration navale restera le capitaine Klauswitz, le vainqueur de la bataille de Trosa. Et bientôt, le major Klauswitz, dit l’amiral Demel, un sourire fier illuminant son visage alors qu’il regardait Bastian. Il semblait qu’aucun moment de relâchement ne serait accordé à Bastian avant la fin de la cérémonie de revue maritime ; il devrait jouer le rôle de trophée pour l’Amirauté.
— Il ne s’agit pas seulement de la promotion au grade de major. Acceptez cette distinction avec gratitude et rappelez-vous que c’est l’attitude d’un soldat noble qui sert d’inspiration aux autres. Il ajouta.
— Je tiendrai compte de cela. Bastian accepta calmement le résultat.
— Aussi, capitaine Klauswitz, puis-je vous demander le plaisir de transmettre mes salutations distinguées à Lady Odette ? Les lèvres de l’amiral se courbèrent en un sourire taquin alors qu’il s’adressait à Bastian, qui était sur le point de partir.
Avec un signe de tête d’approbation, Bastian s’acquitta de la demande de son supérieur avec grâce. — Je le ferai.
C’était une question de devoir, comme il se devait. Et c’était aussi l’occasion de renouer avec une vieille connaissance. Émergent des quartiers de l’amiral, Bastian se dirigea vers le gymnase situé à l’arrière du bâtiment du quartier général. Il se changea d’abord en tenue de sport, puis se lança dans une course rapide autour des terrains, revenant ensuite pour renforcer ses muscles avec divers exercices.
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Le soleil commençait à plonger sous l’horizon, baignant la ville dans une lumière chaude alors que Bastian quittait le gymnase. L’air du soir était rempli des vues et des sons familiers d’une fin de journée printanière en ville. Alors qu’il traversait le centre-ville animé, avec ses grands magasins et ses quartiers commerçants chics, les pensées de Bastian se tournèrent vers une femme qu’il connaissait, Odette.
Un sourire en coin traversa son visage alors qu’il pensait à l’avarice apparente de l’Empereur. Si celui-ci comptait utiliser Odette pour protéger sa fille, il pourrait au moins s’assurer qu’elle soit bien habillée. L’absurdité de la situation ne lui échappa pas, et Bastian pouffa de rire tout seul alors qu’il roulait à travers la ville.
Alors que Bastian descendait le boulevard Preve, il était absorbé par les pensées d’une femme qui, bien que toujours impeccablement présentée, portait souvent des vêtements empruntés. Il semblait injuste qu’elle porte l’étiquette de la princesse mendiante. Il se fit une note mentale de faire des efforts pour améliorer son apparence, afin de la sortir de cette réputation dégradante.
En approchant de la maison de ville, un monde serein baigné d’une lumière rose, il fut accueilli par une scène inattendue. Un gentleman mûr était engagé dans une vive dispute avec les domestiques de la demeure, à l’entrée.
Lorsque la voiture de Bastian approcha, le visage de l’homme s’illumina d’excitation, et il se dégagea précipitamment de l’emprise des domestiques qui tentaient de le retenir.
— Salutations, capitaine Klauswitz ! L’homme s’approcha avec un large sourire, son chapeau en main. Mais lorsque Bastian resta silencieux, il sembla abattu. — Vous vous souvenez de moi, n’est-ce pas ? C’était le joueur de la nuit, le père de Lady Odette, le duc Dyssen. — Comment osez-vous m’ignorer ? La voix pleine de rage du duc brisa la quiétude du jardin.
— Je suis soulagé de ne pas avoir à clarifier, dit Bastian avec un large sourire, faisant virer le visage du duc à un rouge profond, incapable de cacher ses sentiments, même si sa vie en dépendait. Le résultat de sa défaite écrasante à la table de jeu était inévitable.
— Soyez bref, Votre Grâce, dit Bastian, en allumant une cigarette avec une aisance bien maîtrisée.
La fumée s’éleva en volutes, se tortillant doucement dans la brise légère qui faisait frémir les délicates feuilles du jardin. Le duc Dyssen jeta un regard inquiet autour de lui, accablé par la gravité de ses pensées. L’impatience de Bastian était palpable, ajoutant une touche de brutalité à ce geste déjà impoli de fumer en présence du duc.
— Ma fille ne doit pas être entre les mains d’un homme comme vous, déclara le duc Dyssen avec une détermination sans faille, dissimulant ses mains nerveuses sous la table. Il chercha à exprimer son opposition farouche avant d’entamer toute négociation.
— Peu importe les changements des temps, comment un simple descendant de prêteur sur gages ose-t-il poser les yeux sur la fille d’une princesse ! cria-t-il, frappant du poing sur la table dans un accès de colère. Cependant, la réponse qu’il espérait de Bastian ne se matérialisa pas.
Le regard de Bastian resta inébranlable. Tandis qu’il observait l’homme devant lui se mettre de plus en plus en colère, une colonne de fumée s’éleva paresseusement de sa cigarette.
Bastian murmura des jurons comme une berceuse, qualifiant le duc Dyssen de chien. L’audace de ces mots stupéfia le duc, incapable d’accepter les insultes qui lui étaient adressées. Mais Bastian resta droit, savourant la fureur du duc et se délectant de sa totale humiliation.
Les coins de ses lèvres se courbèrent en un sourire doux, alors qu’il regardait l’incrédulité du duc se transformer en un regard furieux.