High Society - Chapitre 12
Les paroles de Madame Flavia figèrent Adèle. Soudain, une pensée étrange la traversa.
— Madame, puis-je vous poser une question ?
— Oh, cessez donc ce ton glacial ! — s’exclama Madame Flavia avec irritation, jetant un regard condescendant à Adèle. Celle-ci s’inclina pour marquer sa reconnaissance avant de poursuivre :
— Il est clair que mon frère ne souhaite pas épouser Lucrezia Della Valle. Mais ne peut-il tout simplement refuser, comme vous l’avez suggéré ?
Adèle laissait entendre qu’elle n’avait nul besoin de plaire à Ezra Della Valle. Si Ezra refusait Adèle, alors Césare pourrait toujours répondre : « C’est vous qui nous avez rejetés », et ainsi se retirer de l’accord avec Lucrezia sans perdre la face.
Mais Madame Flavia rétorqua avec mépris :
— Quelle question égoïste.
…
— En seriez-vous réellement capable ? Seriez-vous prête à faire peser un tel fardeau sur vos descendants ? Vous avez vécu grâce à la gloire de votre lignée, bâtie par vos ancêtres. Et maintenant, vous comptez transférer cette responsabilité à ceux qui viendront après vous ?
Évidemment, je ne peux rien répondre à cela, puisque je n’ai même pas d’héritage à transmettre… Adèle inclina inconsciemment la tête en signe de soumission.
— Pardonnez-moi, madame.
— Et c’est avec ce visage que vous vous excusez ?
— Pardonnez-moi aussi pour cela, madame.
Madame Flavia se frappa bruyamment la poitrine, comme submergée par l’indignation, puis poussa un profond soupir, comme si un souvenir encore plus exaspérant venait de lui revenir.
— Et Césare, évidemment, est bien trop têtu. Il prétend vouloir suivre la volonté du Grand-Duc, mais il refuse lui-même le mariage.
C’est vrai, pensa Adèle, mais elle réalisa soudain qu’elle n’était pas si différente de Césare. Elle aussi était entrée dans cette maison parce qu’elle refusait de se vendre.
Alors, ce fils prodigue ne veut pas d’un mariage dynastique ? Mais pourquoi donc ? Lui qui semble si calculateur…
À ce moment-là, des voix animées s’élevèrent à travers les fenêtres de la galerie.
— Quelle galerie exquise ! Je n’avais jamais vu de statues de marbre si vivantes !
— Et ces fresques ! Avez-vous vu cela ? Il y a tant d’œuvres d’Angela Moss qu’on pourrait trébucher dessus !
À travers les vitres, les voix se mêlaient au langage commun et à des expressions étrangères, portées tant par des hommes que des femmes.
Et soudain, une voix grave et expressive se détacha des autres.
— Les Buonaparte ont toujours soutenu les artistes talentueux.
C’était Césare. Sa voix, si grave et sensuelle, figea Madame Flavia sur place. Adèle, elle non plus, ne put rester indifférente.
— Mais on dit que les jeunes talents découverts par Césare ont provoqué un véritable tumulte à l’Académie d’Origio. Vous avez un goût admirable, Votre Grâce.
— C’est l’un des plus grands plaisirs de la famille Buonaparte.
— Même Sa Majesté vous en a exprimé sa reconnaissance…
— Vous êtes tous trop aimables.
Césare et ses accompagnateurs passèrent sans même remarquer que Madame Flavia et Adèle avaient retenu leur souffle.
Drène…
Adèle avait prêté attention à leur conversation. De nos jours, de plus en plus de royaumes adoptaient la langue commune, mais les langues natales restaient ancrées, surtout dans les maisons royales.
Ce langage était le drène, parlé au centre du continent, en Oracénie et en Rütie.
— Il semble que ce soient les envoyés d’Oracénie, déclara Madame Flavia, comme si elle lisait dans les pensées d’Adèle.
— Les envoyés d’Oracénie sont arrivés ?
— Oui. Le prince Adilot est monté sur le trône. Sa position reste fragile, mais avec l’appui des Buonaparte, ils espèrent affermir l’autorité du prince.
Regardant par la fenêtre, Madame Flavia en oublia qu’elle s’adressait à une simple cireuse de chaussures.
Santanar — un pays qui vivait du commerce et des œuvres d’art. Et Oracénie — son voisin et partenaire commercial le plus important.
La lutte pour le trône n’avait jamais cessé en Oracénie, mais quelques années plus tôt, Césare avait soudainement annoncé son soutien au prince. Beaucoup avaient tenté de le dissuader, mais il était resté inflexible.
Et effectivement, le prince, que l’on pensait sans aucun espoir, était devenu empereur.
Ce qui signifiait…
— Désormais, la voix de mon frère au sein de la Seigneurie sera encore plus influente, observa Adèle.
— Très probablement, oui. Aussi honteux que cela soit à admettre, moi aussi j’avais essayé de l’en dissuader. Mais il s’est avéré que le duc avait raison.
Adèle se tut.
Beau, riche, noble, capable…
Quel genre d’homme est-il donc ? Oui, ses parents l’ont abandonné, mais cela ne semble pas l’affecter.
Madame Flavia, après un dernier regard vers la fenêtre, se retourna vers Adèle avec un visage toujours aussi renfrogné.
— Dans les prochains jours, il y aura beaucoup d’étrangers ici. Ne vous montrez pas dans le jardin.
— Comme vous le souhaitez, madame, répondit docilement Adèle.
De toute manière, il y a peu de chance qu’elle les croise.
La semaine s’écoula comme l’eau de la rivière Lacrima. Chaque jour, Adèle étudiait consciencieusement auprès de Madame Flavia.
— Encore une fois ! Je vous ai dit de ne pas détourner le regard quand vous quittez un interlocuteur ! — s’exclama Flavia d’un ton sévère.
Adèle supportait patiemment ses critiques. Elle avait toujours aimé apprendre, et comparé à la lutte pour survivre, cela lui semblait facile.
En retour, elle recevait des repas savoureux préparés avec des produits frais et un lit moelleux. Un bon marché.
D’ailleurs, les leçons de Madame Flavia étaient réellement utiles, même du point de vue d’une élève aussi peu informée qu’Adèle.
Elle lui apprenait la prononciation, les bonnes manières, la conversation mondaine, la démarche. Elle lui expliquait comment complimenter quelqu’un sans se rabaisser, comment s’adresser convenablement à une dame de rang supérieur, comment décliner avec élégance l’invitation d’un gentleman.
— Si vous souhaitez faire partie de la haute société, assister aux bals est une condition indispensable. Tout Santanara se réunit dans ces petites salles de bal.
Adèle commença à apprendre les bases de la valse. La douleur dans ses jambes s’accentuait. Au début, elle disparaissait après une nuit de repos, mais bientôt, même le sommeil n’y faisait plus rien. Ephonie lui lavait patiemment les pieds et y appliquait des onguents, mais rien n’y faisait : dès qu’Adèle chaussait ses petits souliers, la douleur revenait.
Ephonie, la servante silencieuse, assistait toujours aux leçons. Elle se tenait en retrait, observant tout de ses yeux bleus impénétrables.
Elle n’intervenait qu’occasionnellement.
— Madame Flavia, monsieur ne souhaite pas que l’on fasse du mal à la demoiselle.
Cela arrivait surtout lorsque Madame Flavia menaçait de frapper Adèle avec sa petite canne au bout gainé de cuir.
Pendant tout ce temps, Césare ne vint pas une seule fois voir Adèle.
En revanche, Adèle l’apercevait parfois dans le jardin.
— Votre démarche est aussi basse et pitoyable que votre lignée ! Allez marcher dans le jardin et essayez de corriger cela ! disait souvent Madame Flavia, la poussant à sortir.
Dans la foule, repérer Césare était facile : il était plus grand que la plupart des habitants de Santanara, connus pour leur petite taille.
Seuls les étrangers venus de Trevereaum, d’Orakenie ou de Rytie pouvaient rivaliser avec lui, mais même eux n’avaient ni ses larges épaules, ni sa taille fine. On pouvait le distinguer à plusieurs mètres.
Césare était généralement au centre de l’attention, faisant frissonner les cœurs d’un simple regard.
Même de loin, il était clair que tous cherchaient à capter son attention.
Surtout les femmes. Elles l’entouraient presque toujours, se pressant contre lui dans leurs robes — tantôt à décolleté plongeant à la mode orakenienne, tantôt en soie légère et vaporeuse dans le style santanarien.
Surtout les femmes.
Césare ne les repoussait pas. Au contraire, il souriait, comme s’il trouvait leurs manigances charmantes, et parfois même, il les embrassait sur le front.
Mais ce qui était étrange…
Il ne ressemblait pas à un homme qui prenait plaisir à tout cela…
Adèle l’observait de loin et pensait : le fils des Buonaparte, favori du destin et des dieux.
Un homme avec une telle réputation devrait savourer tous les plaisirs de la vie.
Oui, il était habile et élégant, mais il semblait chercher autre chose. Comme s’il y avait quelque chose de vide dans son regard. Bien que cela n’ait aucun sens.
Parfois, elle avait même l’impression qu’il la regardait directement. Mais cette pensée était trop absurde, et Adèle s’en débarrassait vite.