High Society - Chapitre 16
Adèle se mordit la lèvre et couvrit ses jambes avec l’ourlet de sa robe.
Elle en eut le vertige rien qu’à penser que ses jambes, auxquelles elle n’avait jamais accordé la moindre importance, lui semblaient désormais sales et hideuses à ses yeux.
— Mon frère…
Murmura Adèle en tentant de réprimer la nausée qui lui montait à la gorge.
Ses yeux dorés, perdus dans ses pensées, se tournèrent enfin vers elle.
Elle commença à parler, d’une voix hésitante :
— Pardonnez-moi… Je ne voulais pas déshonorer le nom des Buonaparte, c’est pour cela que je m’entraînais, alors… mes jambes ont beaucoup souffert.
Césare la fixait en silence, la scrutant du regard. La tête d’Adèle tournait de plus en plus fort.
— Je ne pouvais pas marcher, c’est pourquoi j’ai envoyé Ephonie… Je ne pensais pas qu’un tel incident pourrait se produire sur les terres des Buonaparte.
Adèle frissonna, ses épaules se mirent à trembler. À cet instant, comme par enchantement, des gouttes d’eau brillèrent sur ses cils et s’éparpillèrent tout autour.
Les hommes, oubliant tout le reste, la regardaient, captivés.
Seul Césare comprit ce qu’il y avait de plus important dans ses paroles : l’insinuation qu’un acte aussi indigne avait failli se produire dans la maison des Buonaparte.
— Hm.
Césare soupira doucement, et son regard retrouva aussitôt sa netteté habituelle, semblable à celui d’un fauve sauvage.
— Oui, vous avez raison.
À cet instant, il souleva Adèle dans ses bras — avec une aisance telle qu’on aurait cru un petit bateau de papier sur l’eau.
— Oh, mon frère ?
Elle entoura nerveusement son cou de ses bras.
— Mais… ma robe est mouillée…
— Je vous avais bien dit de ne pas trop forcer. Quelle importance, ce que diront les gens ?
— Mais…
— Vous n’avez pas besoin d’en faire autant, vous vous blessez vous-même.
Soudain, Césare déposa un tendre baiser sur le sommet de la tête d’Adèle.
Elle se figea, et les hommes autour d’eux poussèrent un léger cri de stupeur.
Comme s’il n’avait rien remarqué, Césare murmura :
— Puisque je vous ai reconnue comme telle, qui oserait douter de vous ?
— Mais… si je deviens la risée des bals, cela portera préjudice à la famille…
Sa voix tremblait d’émotion. Mais Césare se contenta de rire doucement, sans le moindre reproche.
— Ce sont des gens comme eux qui causent du tort. Dans une famille, on ne parle pas ainsi.
…
Tout son trouble intérieur se dissipa d’un coup. Une douce brume semblait lui envelopper l’esprit. Jamais de sa vie elle n’avait entendu de tels mots — même en plaisantant. Ils étaient d’une chaleur inattendue. Presque brûlante.
C’est trop… Les aristocrates agissent-ils ainsi ? Est-ce cela, un simple attachement ? Comment suis-je censée réagir à des manifestations d’affection aussi excessives ?
Perdue, elle tendit involontairement la main vers le visage de Césare, attira son menton ferme et lisse, et l’embrassa doucement sur les deux joues.
— Merci à vous, mon frère.
Cette fois, Césare tressaillit imperceptiblement. Collée à sa poitrine, Adèle le sentit mieux que quiconque.
— Il n’y a pas de quoi.
Il accueillit son baiser avec aisance, puis la couvrit encore davantage de son manteau.
Lorsqu’il sortit de la fontaine, son pantalon était trempé de part en part. Adèle ferma les yeux, se rappelant soudain à quel point il était un homme de haut rang.
Ce manteau doit valoir mille cinq cents pièces d’or, le pantalon huit cents, et les chaussures peut-être deux mille… Sa tête se remit à tourner.
Pourvu qu’il ne me demande pas de rembourser ça… Sinon, il est vraiment un scélérat.
— Bien.
Césare inclina légèrement la tête d’Adèle contre son épaule et balaya du regard l’assemblée.
Ses sourcils se froncèrent, ses lèvres fines se tordirent en un léger rictus. Son regard, tranchant comme une lame, semblait découper l’étoile du matin.
— Alors, vous avez décidé de vous amuser avec ma sœur ?
«!..»
Les visages des hommes pâlirent, rougirent, puis virèrent au bleu. De leurs bouches s’échappèrent en même temps des excuses et des sourires forcés.
— V-votre Grâce, ce n’était qu’une plaisanterie !
— Oui, oui ! Nous essayions juste d’empêcher Sir Henry de faire une bêtise !..
— Nous ne savions pas qu’elle était votre sœur, c’est une erreur…
— Intéressant. Donc si elle n’avait pas été ma sœur, cela aurait été acceptable ?
— C-c’est que…
Les hommes se turent, comme s’ils avaient avalé de la colle, incapables de trouver leurs mots. Césare les regarda avec mépris et renifla.
— Mais ne vous inquiétez pas trop.
Un soulagement apparut sur leurs visages.
— V-vous allez nous pardonner ?
— Bien sûr, puisque moi aussi, par erreur, je vais causer quelques soucis à vos familles. J’espère que vous me pardonnerez.
Césare leur sourit et passa à côté d’eux.
Alors qu’il traversait le jardin en portant Adèle, celle-ci comprit soudain pourquoi les femmes étaient si folles de lui.
Son corps était solide et rassurant comme un navire, ses bras si enveloppants qu’on aurait dit qu’il tenait entre ses mains le trésor le plus précieux du monde. Chaque fois qu’Adèle tentait de bouger ou de croiser son regard, leurs yeux se rencontraient.
Et chaque fois, Césare lui offrait ce sourire sensuel et tendre, accompagné d’un regard si pénétrant que son souffle se suspendait.
— Qu’y a-t-il ? Vous êtes mal à l’aise ?
…
Peut-être que quelqu’un les observait, mais son jeu d’acteur était impeccable.
Son sourire, à la fois espiègle et élégant, digne d’un véritable gentleman, était irrésistible, rayonnait de confiance, et séduisait tous ceux qui l’approchaient.
Mais il était aussi chargé de douceur, comme s’il voulait réconforter sa sœur qui avait failli être humiliée.
Cependant, dès qu’ils franchirent le seuil de ses appartements, tout changea.
— Suis-je vraiment censé m’occuper de ces absurdités ?
Ses yeux, qui brillaient encore comme des rayons de soleil, devinrent soudainement glacials.
— Je vous prie de m’excuser, — répondit rapidement Adèle en entendant cette voix aussi tranchante qu’une lame.
— Si vous comptez me jeter, je suis prête.
Elle se raidit, prête au pire.
Heureusement, Césare ne la jeta pas. Il ne voulait visiblement pas qu’elle se blesse ou se luxe une articulation.
— Je peux descendre toute seule, — dit Adèle, évitant son regard et tentant prudemment de s’extirper de ses bras.
Mais, oubliant l’état de ses jambes, elle s’effondra lourdement au sol.
Un cri muet resta coincé dans sa gorge.
La douleur était insupportable.
Elle étouffa un gémissement, sentant la douleur vive remonter de ses jambes jusqu’aux genoux. Adèle resta figée au sol, incapable de bouger.
Césare éclata d’un rire glacial, tranchant comme une lame affûtée.
— Et c’est quoi, cette comédie ?
« … »
Oui, le voilà — le vrai Césare.
Toute sa tendresse passée n’était qu’illusion.
Mais malgré tout, Adèle ressentit une légère déception au fond d’elle. Elle serra les poings, toujours allongée sur le sol.
— Excusez-moi… Je ne pensais pas que nous nous croiserions…
— Où est Ephonie ?
— Elle est partie chercher un fauteuil roulant. Je ne peux pas marcher…
— Ce n’est pas ce que j’avais ordonné.
« … »
— Je n’ai pas engagé une infirme incapable de se tenir debout face à son propre frère.
Le ton moqueur coulait comme une chanson, poussant Adèle à essayer de se relever.
Mais à ce moment-là, quelque chose de lourd, comme une presse, écrasa sa jambe.
— Ah !
Adèle poussa un cri et retomba au sol.
Ses jambes étaient clouées au sol, et elle vit que Césare avait posé son pied, chaussé d’une botte mouillée, sur le sien.
— Adélaïde.
Césare, les mains toujours dans les poches, se pencha lentement vers elle, projetant son ombre sur elle.
— Quels genres de fantasmes avez-vous ?
Son esprit se vida soudainement.
— Vous prenez plaisir à vous faire malmener par une bande d’hommes ? Est-ce ce que vous avez appris dans la rue ? Ou bien êtes-vous simplement prête à accepter n’importe quoi du moment que c’est en vous ?
« … »
— Sinon, pourquoi ces hommes ont-ils pensé pouvoir agir ainsi dans les jardins Buonaparte ?
Son menton se mit à trembler, une brûlure cuisante lui transperça le corps, comme si on l’avait entaillée.
— …Vous voulez dire que je les ai séduits ?
— Comment pourrais-je le savoir ? C’est à vous de me le dire.
Adèle inspira difficilement, tremblante.
— Je… je ne l’ai pas fait.
— Vous ne l’avez pas fait ?
— Non.
Césare se remit à sourire, et son rire déchirait la patience d’Adèle. Celle qui avait tout supporté dans les ruelles des bas-fonds était au bord de l’explosion.
— Adélaïde.
Il appuya plus fort sur son pied.
— On dit que madame Flavia vous harcèle.
Sa chaussure de cuir luxueuse écrasait lentement son pied, comme on écrase une baie dans un bocal de confiture.
— Vous ne pouvez pas gérer une broutille pareille ? Vous auriez pu soit lui répondre fermement, soit gagner sa faveur avec douceur. Je vous l’ai déjà expliqué.
« … »
— Vous savez vous abaisser et mendier, n’est-ce pas ? Pourquoi ne l’avez-vous pas fait et avez laissé cette situation dégénérer ?
Césare, penché sur elle comme s’il observait un ver sous sa semelle, articulait chaque mot avec une précision cruelle. Chaque syllabe lacérait ses oreilles.