High Society - Chapitre 18
Quand sa joue effleura la sienne, Adèle dégagea une odeur étrange et envoûtante. Aucune trace d’odeur de poisson — seulement ce parfum mystérieux qui coupait littéralement le souffle.
À ce moment-là, je ressentis une légère excitation.
— Balivernes.
Césare fronça les sourcils et écrasa fermement son cigare contre son propre sourcil.
— Ce n’est qu’une misérable cireuse de bottes.
Il n’y avait pas d’autre façon d’expliquer cette situation absurde. Il ne s’agissait ni de son visage, ni de son corps, mais bien de ses jambes.
Ses jambes ressemblaient à une queue de poisson finement arquée. Leur forme donnait envie de les toucher, mais leur état était déplorable.
Elles étaient couvertes de blessures, d’éraflures, de bleus, d’ulcères purulents, et de peau arrachée. On aurait dit qu’elles n’appartenaient pas à une femme, mais à un malheureux estropié.
Et malgré cela, elle assistait aux leçons dans cet état ? Ce n’est pas madame Flavia qui est cruelle, c’est Adèle elle-même — dure et insensée.
Il appréciait son audace lorsqu’elle l’avait défié, lui, le maître de la maison Buonaparte. Mais à présent, il voyait qu’elle avait simplement perdu toute peur.
«…Je vous ai dit de me lâcher !»
Comme si ces mots allaient arrêter des salopards bavant sur elle… Cela n’avait fait que les exciter davantage.
Elle aurait dû crier une malédiction, ou invoquer le nom des Buonaparte pour les effrayer.
Il se souvenait parfaitement des regards que ces hommes lui avaient lancés. Ils étaient à la limite de la folie. Sans son intervention, cela aurait pu tourner à une orgie délirante. Puis l’un d’eux, le plus dépravé, l’aurait sans doute emmenée.
Ces pensées semblaient folles, mais Adèle possédait un magnétisme qui réveillait les désirs les plus primitifs chez les hommes — sans aucun effort. C’était d’ailleurs pour cela qu’elle avait été conduite ici.
Si moi-même j’ai ressenti cela, Ezra, lui, perdra complètement la tête dès qu’il l’aura près de lui.
— J’ai hâte de voir sa tête.
Césare jeta son cigare et imagina avec amusement le visage de ce noble idiot, tombant fou amoureux d’une simple cireuse de bottes.
Rien que pour ce spectacle, cela valait le coup de faire en sorte que tout aille jusqu’au bout.
***
Quatre jours plus tard, les leçons reprirent. Madame Flavia marchait dans la longue galerie du palais intérieur, un mauvais pressentiment au fond du cœur.
— Madame, dit Césare avec ce sourire espiègle qui lui allait toujours si bien, je n’ai rien contre le fait que vous enseigniez à cette fille inutile, mais je préférerais qu’elle ne devienne pas un fardeau pour moi.
Voyant la tension dans son regard, il ajouta :
— Vous êtes une femme sage, vous avez tout compris. Les cours sont suspendus pour trois jours.
Heureusement, cela s’arrêta là.
Le chef de la maison Buonaparte, habitué depuis l’enfance à être entouré de regards amoureux, ne supportait pas ce qui l’irritait.
Cette cireuse de bottes… Oui, je l’ai poussée plus que les autres, mais elle aurait au moins pu faire semblant d’être fatiguée.
Maintenant, elle risquait de perdre sa faveur. Et tout cela par sa propre faute.
Au départ, Flavia avait prévu de réprimander Adèle pour sa paresse et d’insister sur son départ, affirmant qu’elle n’avait pas sa place dans la maison Buonaparte.
Son front se plissait de plus en plus alors qu’elle marchait sous la colonnade reliant la cour extérieure au palais intérieur.
Elle a sûrement fait exprès de se mettre dans cet état pour que j’entende ces mots de la bouche de Césare.
Femme rusée, perfide. Elle joue les innocentes tout en profitant d’un lit moelleux et de repas chauds.
Mais un autre problème s’était ajouté : les rumeurs qui couraient dans la société.
Quelqu’un avait assisté à l’incident dans le jardin des cyprès, et la nouvelle s’était répandue dans tout le pays.
Le cœur du bruit : « Césare Buonaparte est enfin tombé amoureux pour de bon et a caché la femme dans le palais intérieur.»
Absurde !
Même Henry Fetch, tristement célèbre pour sa grossièreté et son ignorance en matière de galanterie, avait été éclaboussé par l’affaire. On racontait qu’il avait tenté de toucher «la femme de Césare», et en avait payé le prix.
À la suite de cela, en quelques jours à peine, Buonaparte rompit tous ses accords financiers avec la famille Fetch et d’autres maisons, les privant de grosses sommes d’argent.
Désormais, toute la haute société de Fornati était enflammée par cette série de scandales.
— Quand les ambassadeurs d’Orakenia seront repartis, j’annoncerai l’existence d’Adelaïde, et tout le monde se calmera, assurait Césare, mais Flavia n’y trouvait aucun réconfort.
Que le nom des Buonaparte, préservé avec honneur par la famille Lorendan pendant des générations, se retrouve sali par de la cire à chaussures… c’était inouï !
Césare était un véritable chef-d’œuvre de la lignée Buonaparte. Même le fait que ses parents l’aient abandonné semblait avoir été orchestré par une déesse marine pour le rendre plus fort.
Son nom ne devait en aucun cas être terni.
— Pourquoi se marier, de toute façon ? Je m’amuse déjà très bien ainsi.
Le problème, c’est que cette épreuve avait rendu Césare extrêmement sceptique vis-à-vis du mariage.
Le vieux duc avait raison — il fallait insister sur cette promesse et contraindre monsieur Césare à se marier. Et bien sûr, se débarrasser au plus vite de cette effrontée cireuse de bottes.
Perdue dans ses pensées, elle ouvrit la grande porte de la galerie.
— Que la bénédiction de la déesse soit avec vous. Comment allez-vous, madame ?
Adèle entra dans la salle, suivie par Ephonie.
«…»
Flavia manqua de perdre la parole en voyant Adèle après quatre jours d’absence. Quelques jours seulement, et elle était encore plus éblouissante.
Ses joues auparavant creuses étaient maintenant rosées, ses traits semblaient plus raffinés et délicats.
Adèle ne possédait aucun de ces attraits courants qu’on appelle souvent «charmes» — ni double paupière, ni grain de beauté sous les yeux, ni joues rebondies, ni regard en coin de chatte espiègle, ni fossettes.
Mais la perfection de ses traits et l’harmonie de son apparence compensaient largement ce manque, transformant cette absence en qualités pures.
Ce n’était pas une beauté artificielle, mais quelque chose d’unique et de profondément particulier.
Dans sa robe en soie bleu marine, debout calmement devant Flavia, Adèle dégageait une aura subtile mais palpable — un équilibre entre tentation et réserve neutre.
Dans la haute société des Fornati, on appelait cela une « beauté humide », un visage empreint de cette « moiteur » propre aux sirènes mythiques, capables d’attirer les marins…
«…»
— Madame ?
— Oui, que la bénédiction de la déesse soit sur vous, — répondit Flavia avec un temps de retard.
Flavia se mit à arpenter nerveusement la galerie, lançant de temps à autre un regard furtif à Adèle.
Même si cette dernière ne disait rien, son humeur semblait visiblement éteinte, plus calme qu’à l’accoutumée.
Si cela s’était arrêté là, rien d’alarmant ne se serait produit. Mais c’était justement cette retenue mystérieuse qui captait l’attention — et c’était bien là le problème.
Si même elle, vieille femme, ne pouvait détourner les yeux, que dire alors des hommes ? Flavia s’écria soudain :
— J’ai tout entendu ! Vous vous êtes montrée trempée, pieds nus, devant des gentlemen ! Vous ne pouvez donc pas rester tranquillement au palais ? Il faut toujours courir partout comme une jument sauvage ? Voilà ce qui vous arrive !
Les yeux d’Adèle s’écarquillèrent légèrement, puis elle baissa la tête, jetant à la gouvernante un regard sec.
— Je vous demande pardon, madame.
— Je vous ai ordonné de corriger votre démarche lors des promenades, pas de vous épuiser jusqu’à l’effondrement !
— Je vous demande pardon, madame.
— Et vous osez répondre avec tant d’indifférence !
«…»
Adèle resta silencieuse. Son visage ne laissait transparaître aucune émotion, mais sa posture, bien que droite, trahissait une fatigue certaine.
— Madame Flavia, permettez-moi d’intervenir ?
C’était Ephonie, restée jusque-là en retrait.
Flavia s’immobilisa à l’écoute de cette voix calme, et ses yeux glissèrent jusqu’au regard doux et bleu de la servante.
— …Parlez.
— Je vous remercie.
Ephonie s’inclina légèrement, puis dit :
— Bien que je ne maîtrise pas l’étiquette aussi parfaitement que vous, madame, il me semble, à mon humble avis, que la démarche de mademoiselle correspond désormais en tout point aux exigences du “bella figura”. Et ce, grâce à votre enseignement. Ne serait-il pas temps de passer à l’étape suivante ?
Le discours était long, mais l’intention d’Ephonie était limpide. Flavia resta un instant pensive.
— Est-ce la volonté du duc Césare ?
— Le jeune maître vous a confié l’éducation de la demoiselle en toute confiance, madame. Il ne s’agit ici que de ma simple opinion.
— Donc, si je refuse, cela ne posera aucun problème ?
— Absolument aucun, madame.
«…»
La réponse était trop soumise pour ne pas éveiller les soupçons de Flavia. Elle détailla Ephonie de la tête aux pieds. Celle-ci, sentant son regard, soutenait calmement le sien. Ses yeux bleus ne vacillaient pas.
Petite effrontée. Apparemment, elle a déjà réussi à se mettre Ephonie dans la poche et à gagner sa sympathie.
Flavia pinça les lèvres.
Les événements se déroulaient exactement comme elle l’avait anticipé.
Mais, quoi qu’il en soit, un fait demeurait : le duc Césare observait tout avec attention.
Et elle ne voulait pas s’attirer ses foudres. Surtout si elle espérait retrouver sa place au cœur de la haute société.
— Très bien, je tiendrai compte de l’avis de mademoiselle Ephonie.
Flavia se détourna brusquement, manifestant clairement son mécontentement.
— Bien que cela me déplaise, désormais que vous ne vous couvrez plus de ridicule en public, nous pouvons mettre fin aux exercices de marche.