High Society - Chapitre 7
Le repas d’aujourd’hui, qu’il s’agisse du petit-déjeuner, du déjeuner ou du dîner, avait été tout aussi exquis.
Pour le dîner, on avait servi des lasagnes au poulpe et aux tomates, ainsi qu’un turbot accompagné d’épinards. En dessert, un gelato à la ricotta, le plus sucré qu’Adèle ait jamais goûté.
Ce monde lui paraissait parfait, éclatant.
…
Une larme solitaire roula soudain sur sa joue.
Adèle ne l’essuya pas.
Mieux aurait valu que je ne découvre jamais l’existence d’un tel monde.
Sans un bruit, le visage impassible, elle laissa ses larmes couler avant de remonter la couverture jusqu’au menton.
***
À ce moment-là, dans le bureau de Césare.
Il était assis derrière son bureau en noyer, une cigarette entre les doigts.
— Cela vous convient-il ?
Sa voix, bien que chuchotée, semblait plus dense encore dans le silence de la nuit.
Ephonie, debout en face de lui, posa la lampe à huile sur la table avant de se redresser.
— Cela me convient.
— Vraiment ?
— Elle est intelligente. Elle retient presque immédiatement ce que je lui explique. Et à en juger par sa manière de rester impassible face aux objets de valeur que je lui ai montrés, elle ne semble pas être avide, malgré ses origines.
Ephonie poursuivit :
— Elle observe mes gestes avec attention et les imite. Elle s’adapte vite. Et une fois que je lui ai dit de ne pas me parler avec trop de courtoisie, elle n’a plus utilisé un seul mot de politesse excessive.
Césare plissa les yeux. La lumière de la lampe se reflétait dans ses prunelles comme une étoile filante. Une lueur chaude, contrastant avec son regard glacial et calculateur.
— Ephonie, vous en venez même à faire des évaluations, maintenant ?
— Je vous informerai dès que j’aurai de nouvelles observations.
— Inutile. Je peux le voir moi-même. Elle est vive d’esprit.
Appuyant son menton sur sa main, Césare eut un léger rire.
— Autre chose ?
— Elle aime manger. Les repas semblent éveiller en elle un grand intérêt. Elle est encore mince, mais il faudra peut-être surveiller son alimentation plus tard. Et…
Ephonie s’interrompit. Son hésitation était si inhabituelle que Césare la fixa avec plus d’attention.
— J’ai remarqué des traces de coups sur son corps.
— Mmmh. Une perle cabossée… quel intérêt ?
Césare eut un sourire désabusé. Il n’y avait pas l’ombre d’une inquiétude pour Adèle dans son ton.
…
Ephonie songea qu’il changerait peut-être d’avis en voyant de ses propres yeux l’état de la jeune fille.
Un corps si maigre qu’on aurait dit un poisson fraîchement écorché, constellé d’ecchymoses.
Elle avait eu du mal à masquer son trouble en le découvrant. Il était évident qu’elle avait été battue méthodiquement, sans pitié. Comment un corps si frêle avait-il pu supporter cela sans se briser ?
Mais Césare ne s’intéressait pas à ce genre de détails sentimentaux. Ephonie ravala ses pensées.
— Heureusement, les blessures guériront avec des soins adaptés. Il n’y a ni entailles profondes ni autres dommages graves. Une fois qu’elle aura repris du poids, elle deviendra une vraie beauté.
— Elle l’est déjà. Dommage qu’elle soit ma sœur.
…
Les sourcils d’Ephonie tressaillirent.
Ancienne servante de Katharina Schroeder, la mère de Césare, elle le considérait presque comme un fils.
Et quelle mère approuverait un comportement aussi dépravé chez son enfant ?
— Milord…
Voyant qu’elle allait faire la morale, Césare esquissa un sourire, transformant sa remarque en simple plaisanterie.
— Je plaisante, bien sûr. Assurez-vous que ses blessures soient bien soignées. Le second fils des Della Valle n’est pas du genre pressé, mais il voudra peut-être la voir.
— Vous parlez d’Ezra Della Valle ? Vous comptez la fiancer à lui ?
— Je pense qu’elle lui plaira. Il est tellement… droit.
Césare eut un rire discret en tirant sur sa cigarette, une lueur narquoise dans ses yeux couleur or pâle.
Ephonie, qui connaissait son mépris pour la rigidité d’Ezra, se garda bien de tout commentaire.
— Bien, milord.
— Continuez à veiller sur elle. Vous pouvez disposer.
Césare fit un geste de la main.
Mais Ephonie ne bougea pas tout de suite, marquant une légère pause.
Césare haussa un sourcil, interrogateur.
— Excusez ma hardiesse, mais ne devrait-elle pas rencontrer Madame la doyenne ?
— Il n’en est pas question.
— Milord…
— Ephonie.
Césare se leva lentement. Lorsqu’il redressa ses épaules larges, l’atmosphère sembla s’assombrir.
Il souriait, mais à la manière d’un prédateur joueur.
— De toute façon, une fois le contrat rempli, elle sera exécutée.
Ephonie le savait, d’où son expression inchangée.
Le plan était simple : une fois l’accord avec les Della Valle scellé, un « accident » mettrait un terme à l’existence de la jeune fille.
C’était l’unique raison pour laquelle ils avaient fait appel à une aristocrate ruinée.
Mais au lieu de cela, une simple cireuse de chaussures avait franchi la porte. Une cireuse de chaussures à la beauté troublante.
Adèle devait voir là une opportunité.
Mais elle ne savait pas qu’elle faisait face à un roi démon à trois bouches et aux yeux étoilés.
— Mais elle portera le nom des Buonaparte, fit remarquer Ephonie.
— Cela ne vaut pas la peine d’inquiéter notre chère Madame Eva. Au fait, une nouvelle gouvernante arrivera demain pour ma sœur. Vous veillerez à tout préparer.
Le ton de Césare indiquait clairement qu’il n’accepterait aucune autre question.
Ephonie observa un instant son visage, désormais dépourvu de tout sourire.
Ses fossettes et son air charmeur le rendaient habituellement séduisant.
Mais sans cela, il était d’une brutalité effrayante.
Même elle, qui l’avait vu grandir, hésitait à le contrarier.
Elle changea donc prudemment de sujet.
— Qui s’occupera de son éducation ?
— Madame Flavia.
Un soupir inaudible s’échappa des lèvres d’Ephonie.
— Ce ne sera pas une tâche aisée.
— Non, en effet.
Césare eut un léger sourire.
L’image de la cireuse de chaussures, avec ses cheveux magnifiques et son regard impassible, lui revint à l’esprit.
— J’espère que ma sœur tiendra le coup.
***
Adèle s’éveilla à l’aube. Une habitude héritée de ses années de misère.
Il est temps de retourner aux barques.
À cette heure-là, les bateaux de pêche revenaient du large, déclenchant la frénésie du marché aux poissons sur la rue Pellegrini.
Adèle y allait toujours une ou deux fois par semaine, proposant son aide aux marchands.
Parfois, ils lui donnaient des abats de poisson en guise de charité.
Et, dans de rares occasions, une prise entière, qu’elle partageait avec Clarisse pour un festin.
Ici, je peux manger tout ce que je veux.
Allongée sous ses couvertures, elle attendit le lever du jour.
Ephonie arriva plus tard qu’elle ne l’avait pensé.
— Bonjour, milady.
— Mmh.
— Souhaitez-vous que je vous aide à vous laver ?
— Oui, je vous prie.
Ephonie la conduisit à la salle de bain.
Adèle contempla la pièce carrelée de rose et la baignoire en porcelaine immaculée. Une vision étrange pour elle.
Hier, j’étais tellement choquée par cette vision que j’ai failli m’évanouir.
Elle n’avait jamais pris de bain auparavant. Plus encore, elle n’avait jamais eu l’occasion d’utiliser de l’eau chaude pour se laver.
Heureusement, grâce à son aptitude innée à garder un visage impassible, Ephonie ne sembla pas remarquer son étonnement.
— Voulez-vous que j’ajoute de la myrrhe à l’eau ?
La servante lui montra un petit flacon en verre. Adèle ne savait pas de quoi il s’agissait, mais, percevant une agréable fragrance, elle hocha la tête.
Ephonie versa la myrrhe dans l’eau chaude qui remplissait la baignoire, puis y plongea Adèle. La chaleur de l’eau enveloppa agréablement sa peau.
Quel parfum agréable…
À cet instant, on frappa à la porte.
Adèle perçut une certaine nervosité dans ces coups.
Ephonie ajusta rapidement ses manches retroussées, lissa sa jupe et se dirigea vers la porte.
— Que se passe-t-il ?
— Madame Ephonie, c’est urgent… dit une servante vêtue d’une robe noire en coton et d’un tablier blanc.
— Tout de suite…
— C’est impossible…
Elles murmuraient si bas que leurs voix évoquaient le bruissement de grains de riz qui roulent sur les lèvres.
Soudain, Ephonie se retourna vers Adèle avec un visage tendu.
— Madame Adèle, je vais devoir vous laisser un instant.
Sur ces mots, la servante quitta la salle de bain.
Elle revint quelques minutes plus tard, l’inquiétude inscrite sur ses traits.
— Une invitée est arrivée. Vous devez terminer votre bain.
Cela devait être quelque chose d’important. Adèle se leva aussitôt de l’eau.
— Une serviette.
— Tenez, essuyez-vous… Quoique, il semble que nous n’ayons pas le temps. Enfilez un peignoir, dit précipitamment Ephonie.
Adèle perçut le bruit qui provenait du salon.
— Où est-elle ? retentit une voix tranchante.
— C’est Madame Flavia Lorendan, votre préceptrice, expliqua Ephonie en nouant rapidement la ceinture du peignoir d’Adèle.
Les Lorendan étaient des vassaux de la maison Buonaparte. Bien que leur famille ait été reléguée en marge de la haute société, leur lignée restait ancienne. Et l’invitée du jour, Madame Flavia, était reconnue comme le modèle parfait d’une véritable dame.
Adèle ne posa pas la question de savoir pourquoi une telle femme venait la voir de si bon matin. La raison était évidente.
— Comment dois-je la saluer ?
— C’est à la personne de rang supérieur d’initier le salut. Normalement, en tant que représentante de la maison Buonaparte, vous devriez prendre l’initiative, mais dans les circonstances actuelles…
Madame Flavia sait que je ne suis qu’une simple cireuse de chaussures. Je vais donc devoir attendre qu’elle fasse le premier pas.
Adèle hocha la tête.
— Soit, je vais essayer.
— Il ne faut surtout pas la contrarier, prévint doucement Ephonie avant de mener Adèle au salon d’un pas vif.
Dès que la porte s’ouvrit, Adèle aperçut en premier une dame âgée aux yeux acérés, presque rapaces.
Elle devait avoir une cinquantaine, peut-être soixante ans.
Ses cheveux sombres, élégamment coiffés, étaient retenus par une épingle ornée de perles. Sa robe de soie bleu clair aux manches bouffantes, bien que légèrement défraîchie, conservait une prestance aristocratique.
Malgré son air sévère, la beauté et le raffinement de cette femme impressionnèrent Adèle, qui resta un instant figée d’admiration.
Mais dès que Flavia posa les yeux sur elle, elle s’exclama :
— Quelle vulgarité !
L’opinion d’Adèle sur Madame Flavia s’effondra aussitôt, tombant au plus bas.
— Quelle apparence déplorable !
— Veuillez m’excuser, j’étais en train de me laver…
— Qui vous a permis de parler ?!
Eh bien, et maintenant ? Si elle ne posait pas de question, je pouvais aussi bien me taire…
Adèle serra les dents, ravala sa réplique — qui aurait pu lui coûter cher — et inclina simplement la tête, affichant l’indifférence qu’elle avait perfectionnée durant ses années à cirer des chaussures.
Madame Flavia pinça les lèvres avec dégoût en détaillant ses cheveux encore mouillés et son simple peignoir.
— On m’a confié l’éducation d’une telle misérable ?! Ni éducation, ni bonnes manières !
À cet instant, quelqu’un entra dans la pièce.
— Si elle avait de bonnes manières, vous n’auriez pas été appelée, déclara une voix.
— Duc Césare ! s’exclama Flavia.
— Je ne m’attendais pas à vous voir arriver si tôt, Madame Flavia.
C’était Césare. Il portait seulement un habit ouvert, négligemment posé sur ses épaules, ainsi qu’une chemise blanche. Ses larges épaules et sa poitrine partiellement dévoilée semblaient bien trop provocantes pour une telle entrevue.
D’un pas assuré, Césare s’avança vers Madame Flavia.
— Monsieur Césare ! J’étais justement sur le point de…
— Saluez-moi d’abord, chère Madame, dit-il avec un léger rire en effleurant sa joue contre la sienne.
— À l’instant, Monseigneur, mais je…