High Society - Chapitre 8
Les Lorendans sont des vassaux de la maison Buonaparte. Bien que leur famille soit écartée du centre de la haute société, ils sont issus d’un très ancien lignage. Et l’invitée d’aujourd’hui, madame Flavia, est connue dans le monde mondain comme un modèle de véritable dame.
Adèle n’avait pas demandé pourquoi une personne telle qu’elle était venue dès le matin. La raison était évidente.
— Comment dois-je la saluer ?
— La salutation doit commencer par la personne la plus âgée en rang. Selon les règles, en tant que représentante de la maison Buonaparte, c’est à vous de saluer en premier, mais dans les circonstances actuelles…
Madame Flavia sait que je ne suis qu’une cireuse de chaussures, il va donc falloir attendre qu’elle fasse le premier pas.
Adèle acquiesça.
— On ne peut pas la contrarier, prévint doucement Éfoni, et elle guida Adèle vers le salon d’un pas rapide.
Dès que la porte s’ouvrit, Adèle aperçut la vieille dame aux yeux perçants, presque féroces.
Elle semblait avoir environ cinquante, peut-être soixante ans.
Ses cheveux sombres étaient élégamment coiffés et fixés avec une épingle en perles. Sa robe en soie bleu clair à manches bouffantes, bien qu’un peu usée, conservait une dignité aristocratique.
Malgré son expression sévère, la beauté et le raffinement de la vieille dame firent un instant stopper Adèle, émerveillée.
Mais dès que Flavia aperçut Adèle, elle s’écria :
— Vulgarité !
Adèle changea immédiatement d’avis à propos de madame Flavia, et cet avis s’effondra au plus bas.
— Qu’est-ce que c’est que cette apparence déplorable ?
— Je vous prie de m’excuser, j’étais en train de me laver…
— Qui t’a permis de parler ?!
Et maintenant ? Si je ne lui avais pas posé la question, j’aurais pu rester silencieuse…
Adèle serra les dents, avalant la réponse qui aurait pu lui coûter la tête, et baissa simplement la tête, affichant sur son visage l’indifférence qu’elle avait apprise au fil des années en tant que cireuse de chaussures.
Madame Flavia pinça ses lèvres avec dégoût en scrutant ses cheveux mouillés et son peignoir.
— On m’a chargée d’instruire une telle insignifiance ! Aucune éducation, aucune manières !
À ce moment-là, quelqu’un entra dans la pièce.
— Si elle avait des manières, vous ne seriez même pas invitée, dit une voix.
— Le duc Césare ! s’exclama Flavia.
— Je ne m’attendais pas à ce que vous apparaissiez à une heure si matinale, madame Flavia.
C’était Césare. Il portait seulement un habit ouvert, jeté négligemment sur ses épaules, et une chemise blanche. Ses larges épaules et sa poitrine partiellement dénudée semblaient trop provocantes pour une rencontre aussi formelle.
Césare s’avança immédiatement vers madame Flavia.
— Monsieur Césare ! Je comptais justement…
— D’abord, saluez-moi, chère madame, dit-il en souriant faiblement, et il effleura sa joue de la sienne.
— Oui, milord, mais je…
Malgré l’agacement évident, madame Flavia ne put s’empêcher de respecter les convenances mondaines et, retenant son souffle, tourna la joue gauche pour compléter la salutation.
Une fois les formalités accomplies, Césare, avec un sourire joueur, observa Flavia avec attention.
— J’espère que la nuit s’est bien passée ?
— Bien sûr, duc, comme toujours…
— C’est parfait. J’aimerais que vous vous joigniez à moi pour le déjeuner, si vous avez le temps.
— Oh, si le duc invite, comment pourrais-je refuser ?
— Parfait, je vous remercie.
— Vous me remerciez ? Que vous êtes, milord… L’expression de Flavia trahissait un embarras évident, mêlé à un reste d’irritation.
Césare, comme s’il voulait prolonger la conversation ou simplement ne pas la laisser détourner le regard, continua à la fixer intensément.
Une fossette à sa joue gauche ajoutait un air coquet à son visage, tandis que ses lèvres se dessinaient dans un sourire léger et presque espiègle. Sous son œil, un petit grain de beauté apportait une touche de sensualité et de malice à son regard.
Flavia, dont les coins des lèvres tremblaient involontairement, soupira finalement de façon audible.
— Duc Césare, vous êtes simplement…
— Un beau garçon ?
— Vous êtes trop rusé !
— N’est-ce pas pour cela que les dames m’adorent ? dit Césare en souriant, jetant un regard vers Adèle. Et ce n’est qu’à ce moment-là, en voyant son apparence de souris mouillée, qu’il s’arrêta un instant.
Mais au bout d’un instant, la charmante fossette réapparut sur sa joue.
— Tu as pris un bain ? Il aurait fallu qu’on se lave ensemble.
— Duc ! De tels mots ne se disent pas ! s’exclama Flavia.
— Je ne dis cela qu’aux belles femmes, donc ce n’est pas tout à fait interdit.
— Duc… Ah !
Madame Flavia, comme si elle jugeait que tout ce qui se passait était de la faute d’Adèle, commença à la regarder avec un air furieux.
— Duc Césare, si vous m’appréciez ne serait-ce qu’un peu, ceci est inacceptable. Les Lorendans ont servi la famille Buonaparte pendant tant d’années ! Je préférais endurer n’importe quelle épreuve avant cela !
Césare, adossé à la porte, les bras croisés sur sa poitrine, plissa les yeux avec moquerie.
— Des épreuves ? Mais c’est juste un jeu de poupées.
— Si c’était une poupée, je pourrais encore comprendre. Mais comment faire d’une fille sale qui traînait dans les rues une dame ?!
— Peu importe d’où elle vient. Mes dames…
— Elles sont issues de familles nobles ! Et qu’est-ce que c’est que ces propos indécents en plein jour !
— Et alors, il ne faut pas dire de telles choses en plein jour ? En plein jour, on voit bien mieux.
— Milord !
Césare fit semblant de ne pas comprendre son indignation et sourit de ce sourire rusé qui appartient à ceux qui savent exactement qu’on ne peut que les aimer.
— En plus, on dit qu’elle est innocente.
Les veines du front de Flavia se gonflèrent, et Éfoni, restée en retrait, ferma les yeux en silence. Cet homme savait parfaitement comment tout renverser.
Flavia, semblant se résigner à l’impossibilité de dénoncer l’impudence de Césare, tourna toute sa colère vers Adèle.
— Comment peut-on croire cela ?!
— Eh bien, souhaitez-vous que je vérifie ?
— Duc !
Flavia cria, son visage rougissant de colère.
— Par tous les saints, ne plaisantez pas ainsi ! Pourquoi la famille Buonaparte chercherait-elle du réconfort dans les bras d’une simple cireuse de chaussures ? Que se passera-t-il si cette fille commence à rêver d’illusions folles ?!
Adèle observait en silence ce qui se passait, tenant son masque d’indifférence et réprimant un soupir. Ce serait bien si quelqu’un demandait son avis aussi.
Soudain, Césare éclata de rire.
— Regarde, elle n’en a absolument pas envie. C’est dommage, tu sais.
— Quoi ?! Est-ce que cette insolente fille pense que même Buonaparte ne peut pas satisfaire ses exigences ?
Flavia, scrutant Adèle de la tête aux pieds, s’arrêta soudainement. D’un geste brusque, elle attrapa le bord de son peignoir et le tira vers le bas jusqu’à sa poitrine.
— …!
Adèle réussit à maintenir le peignoir, couvrant sa poitrine, mais cela suffit pour exposer ses maigres épaules couvertes de contusions bleu foncé.
« …. »
Le rire de Césare se calma progressivement.
Adèle parla involontairement :
— Ce n’est rien. Tout guérira et il n’y aura pas de cicatrices. Cela ne gênera pas le plan.
Césare fronça les sourcils mais se tut, ne gardant qu’un faible sourire sur les lèvres. Adèle serra les lèvres et s’agrippa plus fermement au peignoir.
Flavia, dégoûtée, lâcha enfin le bord du vêtement.
— Vous voyez ?! Elle est couverte de marques horribles ! Comment une créature aussi misérable peut-elle prétendre être une dame ?! Cette fille est de basse extraction et paresseuse par nature !
« …. »
— Même maintenant, elle ne tente pas de se justifier ! Il est évident que tous ses projets sont de s’élever dans la société grâce à son propre corps !
Flavia parlait, presque en grognant, mais Adèle ne faisait que rester silencieuse.
Vieille vipère… tu m’as encore battue à plate couture. Qu’est-ce que tu regardes, Abel ? Tu me méprises aussi ? Viens ici !
Les souvenirs d’Adèle revinrent à l’esprit, de l’époque où le vieux Nino la battait chaque fois qu’il était de mauvaise humeur.
Elle n’avait jamais appris à se défendre.
Mais si cela continuait ainsi, la situation échapperait complètement à son contrôle.
Adèle prit une profonde inspiration et expira lentement.
— Madame.
Flavia la fixa avec une froide détermination.
— Je vous prie de m’excuser. J’ai beaucoup de défauts, mais je vais essayer.
— Vous ? Essayer ?
— Oui.
Les yeux de Flavia devinrent encore plus glacials.
— Vous pensez qu’avec de l’effort, on peut cacher son origine ? Serez-vous capable de tromper ceux qui sont nés et ont grandi dans la haute société ?
« …. »
Adèle resta silencieuse un instant, puis reprit doucement :
— Je suis née orpheline et je n’ai ni biens, ni rang. Je ne sais pas si c’est possible. Mais mon frère, apparemment, le pense, puisqu’il m’a amenée ici. Donc, si vous avez des doutes, vous devriez les discuter avec lui.
— Ha !
Le visage de Flavia devint écarlate de colère, et Césare éclata de rire bruyamment.
— Vous… vous, cette…
— Je vous prie de m’excuser si mon ignorance et ma grossièreté vous ont offensée, ajouta Adèle, baissant la tête.
Flavia tremblait de rage, mais, comme Adèle l’avait prévu, elle n’osa pas s’en prendre à Césare.