Violet Love Affair (Novel) - Chapitre 10

Il s’était écoulé beaucoup de temps, mais elle reconnut immédiatement l’écriture de Siasen. Ces lettres arrondies, tracées à la hâte, reflétaient parfaitement sa personnalité. Hésitante, elle contempla un instant l’invitation avant de se forcer à respirer profondément et à la lire.

[Je vous invite à ma première exposition. Que la Perle du Crépuscule honore cette occasion de sa présence. Votre ami sincère.]

L’invitation, semblable à celles qui circulaient couramment dans la haute société, aurait semblé anodine à n’importe qui d’autre. Mais en voyant ces mots, Perle du Crépuscule, Ana en oublia de respirer.

Siasen lui avait souvent répété qu’elle ressemblait à une perle. Une perle baignée par les teintes du soleil couchant, disait-il en louant la beauté de ses yeux. Son regard sérieux et pénétrant lui donnait l’impression d’être la plus belle femme du monde.

Perle du Crépuscule. Ces mots étaient leur signe secret.

Tu me manques. Je te désire. Et… je t’aime.

Tant de sentiments doux et brûlants étaient encapsulés dans cette lettre. Un léger vertige l’envahit. Elle ferma longuement les yeux avant de les rouvrir. Elle voulait dissimuler cette lettre au fond d’un tiroir où personne ne la trouverait. Ou mieux encore, la jeter au feu et en effacer toute trace.

Son cœur battait à tout rompre. L’odeur de Siasen semblait encore imprégner le papier. Le parfum des prairies, le coucher de soleil embrasant le monde entier de sa lumière rouge, leur premier baiser sous ce ciel flamboyant… Toutes ces sensations, ces émotions enfouies au plus profond d’elle-même, refirent brusquement surface. Même si les couleurs du passé s’étaient fanées, ces souvenirs restaient des trésors du temps.

Ah… Pourquoi n’avez-vous pas changé ? Pourquoi réapparaissez-vous devant moi tel que vous étiez jadis ?

Machinalement, Ana abaissa son regard et suivit inconsciemment la fragrance du papier, renouant avec une habitude de son adolescence. Mais elle reprit subitement ses esprits.

La pièce était remplie de domestiques. D’un geste maîtrisé, elle retrouva son calme et remit la lettre dans son enveloppe. Elle hésita sur la conduite à tenir.

Mais elle le savait… Elle devait le voir, au moins une fois. Il y avait des choses non résolues, des dettes à solder. Une fatigue accablante l’envahit soudain.

***

Les jours passèrent rapidement.

Ana était occupée à assister aux réunions des dames de la noblesse, à accompagner Garcia aux banquets, à gérer les affaires familiales et à acquérir quelques tableaux. Se tenir occupée l’aidait à chasser les pensées intrusives.

Durant un dîner, Garcia lui suggéra doucement de boire du thé pour prendre soin d’elle. Ce fut alors qu’elle réalisa qu’elle en faisait peut-être trop. Son mari, qui veillait sur elle après sa récente maladie, semblait inquiet qu’elle ne se fatigue à l’excès.

La veille de l’exposition de Siguin Noel, le couple partagea un vin raffiné envoyé par le duc d’Arsen, leur partenaire commercial. Naturellement, la soirée les mena jusqu’à leur chambre.

Après un moment d’intimité doux et paisible, ils discutèrent en toute quiétude tout en buvant du thé. Lorsqu’Ana revint après avoir quitté brièvement la pièce, elle aperçut Garcia debout près de la table, observant quelque chose.

Il dégageait une aura résolument masculine et détendue, ses cheveux argentés d’ordinaire impeccables légèrement ébouriffés, sa robe de chambre couleur vin négligemment drapée sur ses épaules. Peut-être était-ce d’autant plus frappant après l’instant qu’ils venaient de partager.

Ana s’approcha avec un sourire.

— Que regardez-vous ?

— Oh, ma chère épouse.

Garcia se tourna vers elle avec indifférence, mais Ana, en apercevant l’invitation entre ses mains, sentit son visage se figer un bref instant. Elle se força rapidement à retrouver son calme et afficha un sourire.

Il la fixait.

— Oh, l’exposition a lieu demain.

Elle feignit d’avoir oublié. Alors qu’en vérité, elle avait compté chaque jour depuis la réception de cette lettre.

Ana se sentit dégoûtée d’elle-même. Ce sentiment s’accentua encore davantage lorsque Garcia embrassa doucement ses cheveux.

— Vous semblez réellement apprécier la peinture.

— Oui.

Elle répondit brièvement, avant d’ajouter, presque comme une justification :

— Je les aime depuis ma jeunesse. Elles me passionnent et m’inspirent.

— Vraiment ?

Elle aurait voulu qu’il ne la regarde pas avec des yeux aussi tendres.

Anais aimait l’art depuis l’enfance, mais sa passion pour la collection de tableaux avait véritablement commencé après être tombée amoureuse de Siasen.

Elle avait voulu comprendre son univers, s’en imprégner. Et, au fil du temps, elle avait collectionné des œuvres comme pour compenser l’absence d’un homme qu’elle ne pouvait jamais posséder.

Même après avoir grandi et épousé un autre, le monde qu’elle partageait jadis avec lui restait sien, ne serait-ce qu’à travers des souvenirs.

Ce n’est qu’en retrouvant Siasen qu’elle prit pleinement conscience de ce désir caché. Une avidité secrète qu’elle voulait emporter dans sa tombe.

Bien qu’aujourd’hui elle n’achetât plus d’œuvres en pensant à lui, il était indéniable qu’il était la source de cette passion.

— Prenons un autre verre de vin. Le fromage semble excellent.

Elle changea de sujet, ne voulant pas s’attarder davantage sur cette conversation.

D’ordinaire, Garcia ne s’intéressait pas vraiment à sa collection. Leur goût différait, et sa manière de lui témoigner son soutien consistait à lui offrir un budget généreux pour ses acquisitions ou à lui faire construire une galerie privée pour ses œuvres. Il n’avait jamais été un amateur d’art.

Mais ce soir-là, quelque chose était différent.

— Quel genre d’art aimez-vous le plus ?

Surprise par cette question inattendue, Ana tourna la tête vers lui. Garcia, installé dans un fauteuil vert sombre, le menton appuyé sur sa main, la fixait avec intensité. Son regard, posé uniquement sur elle, ressemblait à celui d’un prédateur dissimulé dans les fourrés, épiant sa proie.

Se sentant mise à nu sous son regard perçant, Ana secoua la tête pour chasser ces pensées absurdes. Il avait toujours un visage bienveillant. Elle s’approcha et s’assit en face de lui, esquissant un sourire.

— Je ne m’attendais pas à ce que vous me posiez cette question.

C’était maintenant au tour de Garcia d’être intrigué. Il fronça légèrement les sourcils et inclina la tête.

— Pourquoi donc ?

— Vous avez toujours respecté ce que je fais, mais vous ne sembliez pas particulièrement intéressé.

Son ton était léger et taquin, mais elle le pensait réellement. Pourtant, Garcia ne répondit pas immédiatement. Son regard prolongé la mit mal à l’aise, et elle finit par rompre le silence.

— Garcia ?

— Ai-je… été aussi indifférent que cela ?

— Non !

Sa réponse fut immédiate et catégorique. Elle avait oublié à quel point son mari avait un fort sens des responsabilités. Secouant la tête, elle tendit la main pour saisir la sienne.

— C’était une plaisanterie. Où pourrais-je trouver un époux aussi attentionné que vous ?

— Non, ce n’est pas ça…

Sa voix, d’ordinaire douce et agréable, avait pris une tonalité plus grave, légèrement mélancolique. Garcia baissa les yeux un instant avant de les relever vers elle.

— Je pense que vous n’avez pas tout à fait tort.

— Pardon ?

— Rien.

Il secoua la tête et, un instant, un sourire fugace, presque froid, traversa son visage.

Sa grande main inversa leur position, enveloppant maintenant la sienne. Comme si de rien n’était, Garcia poursuivit la conversation.

— Alors, quel est le goût artistique de mon épouse ?

— J’aime… le classicisme, mais j’ai une affection particulière pour le style de Joya, avec ses contrastes riches. Et les œuvres de Phaedram… Il a peint la mer toute sa vie, et pourtant, chaque toile révèle une lumière différente, transformant l’océan en une infinité de nuances. Son disciple, Langsen, est également un peintre…

En abordant son sujet favori, Ana ne put s’empêcher de s’animer. Sans même s’en rendre compte, elle parlait avec enthousiasme. Peu importe le temps dont elle disposait, il ne serait jamais suffisant pour discuter de ses passions : la peinture et l’art.

Garcia l’observait, ses yeux dorés suivant chacun de ses gestes. Son visage s’illuminait, rougissant légèrement sous l’effet de l’excitation, et elle ressemblait à une jeune fille emportée par sa passion. Ce ne fut qu’après un moment qu’Ana réalisa qu’elle parlait peut-être trop. Embarrassée, elle laissa sa voix s’éteindre. Garcia, quant à lui, remarqua la teinte rosée de ses oreilles et esquissa un léger sourire.

— Je savais que vous aimiez cela, mais je ne pensais pas que vous étiez si passionnée.

— Pardon, j’ai trop parlé de mes centres d’intérêt.

— Non, c’était agréable.

Surtout vos yeux.

Il effleura légèrement le bout de ses doigts, un geste presque caressant. Un frisson parcourut Ana, et elle lui rendit son sourire, se demandant si cette sensibilité était due à l’intimité qu’ils venaient de partager.

— Madame Armendi, de la galerie, m’a dit la même chose. Elle trouvait que je ressemblais à une enfant. Elle n’avait jamais vu une dame de la noblesse s’enthousiasmer autant.

— Effectivement, c’est la première fois que je vois cela aussi.

— Ne vous moquez pas de moi.

— Je suis sérieux.

Son rire se répercuta jusque dans ses doigts. Ana, habituée à ces gestes intimes lorsqu’ils étaient seuls, ne fit rien pour l’arrêter. Pourtant, lorsque ses lèvres effleurèrent ses jointures, puis descendirent lentement vers sa paume, elle frissonna. Contrairement au dos de la main, la paume était plus sensible, comme un contact à même la peau.

Elle s’interrompit, surprise, tandis qu’il s’éloignait naturellement et lui demandait avec douceur :

— Qu’y a-t-il ? Un problème ?

— Non…